À l’heure de la consolidation des comptes dans la zone euro…
Après les années de « quoi qu’il en coûte », l’endettement public a atteint des niveaux très élevés, à tel point que les États de la zone euro cherchent désespérément des moyens pour en limiter la progression…
La crise liée à la Covid-19 a conduit à une dégradation importante des finances publiques dans quasiment tous les États de la zone euro, nécessitant de suspendre provisoirement le cadre budgétaire européen qui fixait des limites au déficit et à l’endettement publics. Depuis, les discussions — palabres ? — vont bon train entre les chefs d’Etat, les uns appelant à une refonte des règles budgétaires (France, Italie, Espagne…), les autres souhaitant le retour d’un cadre plus contraignant (Allemagne, Autriche, Pays-Bas…). Un consensus semble désormais se dessiner sur la nécessité d’une réduction annuelle négociée, mais obligatoire, du taux d’endettement public, même si l’Allemagne goûte peu ces engagements modestement chiffrés.
C’est d’ailleurs certainement ce qui a conduit, la Première ministre, Élisabeth Borne à exiger, coup sur coup, un tour de vis inattendu de 1 % sur les crédits du budget 2023 et des propositions de baisses potentielles de dépense, dans chaque ministère, à hauteur de 5 % de leur enveloppe. Le tout pour donner des gages de sérieux à Bruxelles, qui regarde la trajectoire de finances publiques de la France d’un air tout autant circonspect que notre Cour des comptes… D’où, dans la plus pure tradition française, l’organisation d’Assises des finances publiques, le 19 juin, auxquelles les associations des maires, des départements et des régions de France ont refusé de participer.
Chiffres de la dette publique en trompe-l’œil
Selon Eurostat, à la fin du quatrième trimestre 2022, l’endettement public dans la zone euro — mesuré comme le rapport de la dette brute des administrations publiques au PIB — s’est établi à 91,6 %. Signe de l’hétérogénéité de la zone euro, ce ratio atteignait 171,3 % en Grèce, 144,4 % en Italie, 113,2 % en Espagne, 111,6 % en France, contre 66,3 % en Allemagne, 24,6 % au Luxembourg et 18,4 % en Estonie. Et par rapport au quatrième trimestre 2021, quasiment tous les États ont vu leur taux d’endettement public baisser : -23,3 points pour la Grèce, -5,0 points pour l’Espagne, -3,0 points pour l’Allemagne, -1,3 point pour la France, etc.
Pourtant, cette baisse du taux d’endettement public est en trompe-l’œil. Outre qu’elle ne signifie pas que le stock de dettes publiques a diminué, elle résulte, avant tout, des effets de l’inflation. En effet, celle-ci conduit à une augmentation du PIB en valeur plus rapide que le taux d’intérêt apparent sur la dette publique, dont l’immense majorité est placée en titres à taux fixes de maturité souvent longue. Mais au fur et à mesure que les titres sont renouvelés, si l’inflation perdure, le taux apparent de la dette publique risque d’augmenter, tandis que le PIB réel pourrait se dégrader, sous l’effet d’une baisse de la demande et d’une hausse des coûts de production.
Soutenabilité de la dette publique
Par définition, une dette publique est soutenable tant que les administrations publiques qui se sont endettées (État, Sécurité sociale, organismes divers d’administration centrale et collectivités locales) sont en mesure d’assurer, à tout instant, le service de la dette accumulée. En l’état actuel des choses, cela suppose, entre autres, une capacité à lever de nouveaux impôts et surtout le maintien de l’accès aux marchés financiers, puisque l’essentiel de la dette publique est émis sous forme d’obligations de plus ou moins long terme. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé cruellement la récente dégradation de la note souveraine de la France par l’agence Fitch, qui avait justifié sa décision par l’importance des déficits budgétaires, des efforts trop ténus pour les résorber, et même une impasse politique pour le gouvernement.
C’est pourquoi les Etats cherchent à stabiliser leur taux d’endettement public, afin de rassurer sur la soutenabilité de leur dette publique. Tant que les taux d’intérêt demeuraient très bas, il suffisait d’un peu de croissance pour y arriver à court terme, tout en creusant le déficit public. Hélas, si les taux d’intérêt poursuivent leur remontée au point de devenir supérieurs au taux de croissance du PIB, alors la soutenabilité s’obtiendra au prix d’un excédent budgétaire primaire découlant d’une politique très restrictive. C’est ce deuxième scénario que semble privilégier la Commission européenne.
Conjuguée au ralentissement de l’économie provoqué par la hausse des taux d’intérêt — à laquelle participe la BCE avec le resserrement de sa politique monétaire —, l’austérité budgétaire pourrait cependant conduire à une récession sévère qui là, pour le coup, rendrait l’endettement public insoutenable. C’est pourquoi certains économistes, comme Jean Pisani-Ferry, préconisent de financer l’indispensable transition écologique, non pas par un illusoire redéploiement des dépenses publiques, mais par un impôt exceptionnel non récurrent sur le capital… proposition audacieuse dans un pays qui détient le record du taux de prélèvements obligatoires ! Mais l’est-elle plus que la proposition d’annuler purement et simplement la partie de la dette publique détenue par l’Eurosystème ?