Bel appart, très moche planète
Les meubles de grand-mère ? Plus personne n'en veut ! Mais la « fast déco » – clone de la «fast fashion »- est un véritable désastre pour la planète, dénoncent plusieurs associations écologistes.
Un nouveau coussin ? Une petite table basse ? Publié ce printemps, le rapport « Tendances maison : l'envers du décor », dénonce les « conséquences désastreuses pour la planète » de la passion des Français pour leur intérieur. Et il détaille le fonctionnement du marché de l'ameublement et de la décoration. L'étude émane de trois associations écologistes, Zéro Waste France, le Réseau national des ressourceries et recycleries et les Amis de la Terre France. Les chiffres avancés sont impressionnants : la pandémie a fait littéralement exploser ce marché, qui reste florissant depuis. Entre 2017 et 2022, le nombre d’éléments d’ameublement mis sur le marché en France a augmenté de près de 88%. Il est passé de 269 à 505 millions. La raison : les confinements qui ont vu les Français se focaliser sur leur intérieur. Et l'importance prise par le phénomène met en lumière les modalités particulières de la consommation du mobilier et de la décoration.
Dans les médias, l'expression « fast déco » a commencé à se diffuser. Cependant, cette tendance « est déjà une réalité depuis longtemps », pointe le rapport. Dans les années 1980, Ikea a joué le rôle de pionnier, proposant des produits vendus bon marché (et donc, avec des coûts de production réduits), avec un renouvellement régulier de l'offre, matérialisé dans le fameux « catalogue Ikea », outil marketing d'une grande efficacité... C'est l'avènement de la « collection », notion typique de la mode, dans le secteur de l'ameublement. Au XXIe siècle, d'autres enseignes – dans la décoration- ont suivi les innovations de celles de la mode en proposant les collections « capsule » ( limitées, en collaboration avec designers, icônes de la mode...) , qui s'ajoutent à celles saisonnières, notamment Søstrene Grene ou Hema. Car les acteurs de la « fast déco » sont très nombreux et variés, recense l'étude. Géants de la distribution ( Alinéa, But, Conforama...) dominent encore dans l'ameublement. Mais dans la décoration, de très nombreux acteurs se livrent une concurrence féroce. Enseignes de bazar et de déstockage très dynamiques (Action), pure playeurs généralistes comme AliBaba, Amazon ou Cdiscount, et d'autres issus de l’ultra fast fashion, tels Shein ou Temu … Sur les sites Internet de ces champions de la « déco low cost », chaque jour, de nouvelles bougies et autres objets de décoration sont proposés à la vente.
D'où vient le bois ? Mystère ...
Les mécanismes étant exactement les mêmes, « l'envers du décor » de la « fast déco » est aussi peu reluisant que celui de la « fast fashion », décrit le rapport. Côté consommateur, des mécanismes marketing sophistiqués qui visent à engendrer une sur-consommation. Côté production, selon l'étude, « des conditions de travail marquées par des violations de droits humains », ou encore « une externalisation des coûts environnementaux et sociaux : les larges quantités de produits mis en vente à bas coûts sont le reflet d’enseignes qui ne paient pas les réels coûts environnementaux et sociaux de la production », pointe l'étude. Le secteur admet que « les pratiques sont moins documentées » que dans celui de la mode. Mais l'analyse des niveaux de prix -bas – proposés aux consommateurs, est parlante. L'étude souligne d'ailleurs un « manque de transparence » des enseignes sur les conditions de production des matières premières qui servent à réaliser meubles et décorations. D'où vient le bois qui a servi à fabriquer certains meubles chez Ikea ou But? « Impossible de savoir », note le rapport. Ce matériau est aujourd’hui le plus fréquent utilisé pour les éléments d'ameublement ( 61% de ceux mis sur le marché, selon l'Ademe). « La hausse considérable des mises en marché a donc des impacts importants sur la ressource en bois », alerte l'étude, qui relaie les accusations du documentaire « IKEA, le seigneur des forêts »( Disclose, diffusé en février sur Arte), selon lequel 20 millions de mètres cubes de bois sont utilisés chaque année par l'enseigne suédoise.
Suivant jusqu'au bout la course folle de la « fast déco », l'étude souligne le faible taux de recyclage de ces produits. Les éco-organismes dédiés collectent 1,3 million de tonnes de déchets d’ameublement , soit seulement 42% en tonnage des éléments mis sur le marché. Et parmi ces déchets collectés, près de la moitié sont non réutilisables, non réparables et non recyclables. Ils sont brûlés en incinérateur et en cimenterie, ou enfouis en décharge. Par ailleurs, le pourcentage de meubles réemployés parmi ceux collectés par les éco-organismes, en baisse constante depuis 2017, n’a jamais dépassé 3%. Car le réemploi se heurte à de très nombreux obstacles dont un manque de financement. Et aussi, une qualité toujours plus dégradée des objets collectés, autre conséquence logique de la « fast déco »...