Santé mentale des salariés : « Les entreprises se dédouanent de leur obligation de prévention avec les lignes d’écoute»,
Benjamin Saviard, directeur d’ICAS France et expert de la prévention des RPS
ICAS France, filiale du groupe ICAS Europe de l’ouest, acteur international de la santé mentale, propose des programmes d’assistance aux employés – incluant les troubles psychosociaux (RPS) ou de la vie privée–, afin de prévenir de façon holistique leur santé mentale. Interview de Benjamin Saviard, directeur d’ICAS France et expert de la prévention des RPS.
Avez-vous constaté une hausse des problématiques de santé mentale chez les salariés ?
Avec la guerre en Ukraine, nous avons enregistré 9% d’appels sur l’Hexagone qui concernaient directement la guerre. Contre 11% en Allemagne, en Autriche ou en Suisse. Ce chiffre s’explique par la proximité immédiate de ces derniers, par des contacts plus directs avec les pays en guerre et la présence de réfugiés en plus grand nombre. Avec le soutien de psychologues et de juristes, notre ligne d'assistance en France a reçu, en mars, beaucoup d’appels de salariés inquiets, soit parce qu’ils avaient un lien avec l’Ukraine ou la Russie et avaient besoin de soutien, soit parce qu’ils étaient angoissés par la situation. Nous avons également constaté une augmentation des inscriptions aux webinaires, en particulier sur le sujet « Retrouvez la paix (intérieure) en temps de guerre ». La situation peut être un déclencheur et faire émerger de nouvelles angoisses et symptômes dépressifs. Certains questionnements sont apparus, en lien avec le quotidien et la vie en général des salariés ou leur situation au travail, tels que « suis-je bien là où je suis ? », « est-ce que je vis ma vie comme je le souhaitais ? ». Après la pandémie, qui a aspiré toutes leurs ressources, les salariés sont à nouveau plongés dans l’incertitude.
Quelles obligations reposent sur les entreprises, en termes de santé ?
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation légale de sécurité est inscrite dans le Code du travail à l’article 4121-1. Suite aux réorganisations dans les grandes entreprises et aux suicides médiatisés chez France Télécom ou Renault, il a été précisé que l’employeur devait en outre « veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ». Cela implique pour les entreprises la mise en place de mesures de prévention en faveur de la santé physique des salariés, mais également une prise de conscience croissante de leur santé psychologique. Leur responsabilité sanitaire a en outre été accrue par la crise sanitaire et les normes qu’elle a engendrées. Toutefois, les actions à mettre en place ne sont pas précisées.
Quelles actions mettent-elles en place en termes de prévention ?
Pour se dédouaner de leur obligation de prévention de la santé mentale, l’un de leurs réflexes est de mettre en place des lignes d’écoute et de soutien psychologique gratuites pour leurs salariés, afin de prévenir les risques psychosociaux (RPS). Mais cela ne constitue qu’un premier niveau d’aide et ne suffit pas. D’ailleurs nous constatons que les taux d’appel sont extrêmement faibles. Si une personne est épuisée, proche du burn-out ou qu’elle présente des idées suicidaires, elle n’aura pas envie de l’évoquer à un tiers par téléphone. Les entreprises ont également tendance à proposer des séances d’information, via des webinaires, sur divers sujets comme la gestion du stress dans les moments de crise. Mais beaucoup restent dans l’affichage ou le cosmétique marketing et n’entreprennent rien ensuite.
Que devraient-elles organiser selon vous ?
Les entreprises ont intérêt à anticiper et à innover pour aller plus loin. Nous proposons un programme global d’assistance aux employés (EAP), comprenant en premier lieu des services de soutien psychologique et émotionnel, via des entretiens téléphoniques avec une hotline 24h/24 pour comprendre les problématiques et donner quelques solutions pour améliorer la situation ; des suivis psychologiques, via des entretiens en face à face avec des psychologues. Nous allons même plus loin en proposant un soutien plus global aux salariés avec une assistance juridique et sociale, via des juristes et assistants sociaux. Enfin, nous prodiguons des conseils pour les managers et la direction de l’entreprise, le sujet de la santé mentale devant être vu de manière globale dans les entreprises. Les entreprises doivent avoir à leur actif un diagnostic des RPS, soit avoir cartographié les risques et éléments qui feraient naître des problématiques de mal-être, afin d’avoir des indicateurs clés. Ce diagnostic et le plan d’actions mis en place doivent être inscrits dans le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), qui doit être remis à jour tous les ans et être consultable par l’ensemble des salariés.
Quels bénéfices peuvent-elles tirer de cette prévention holistique ?
Le taux d’absentéisme au sein de ces entreprises sera moins fort et les salariés plus performants, car moins préoccupés par d’autres problématiques et 100% dédiés à leur travail au niveau cognitif. Comme l’entreprise est entrée au domicile de l’employé avec la généralisation du télétravail, le côté privé et personnel est entré dans les entreprises et cela relève de leur responsabilité et de leur intérêt de s’en préoccuper. Outre le fait de permettre d’engager les collaborateurs, cela répond également à une question d’image, de responsabilité sociale et sociétale et de retenue des talents.
Charlotte DE SAINTIGNON