Changement climatique : alerte sur les infrastructures
Électricité, rail, téléphonie... le fonctionnement de notre société entière dépend de leurs infrastructures. Or, celles ci sont fortement impactées par le changement climatique. Il manque une véritable gouvernance de la prévention des risques, d'après France Stratégie.
Le ton est sobre, le propos, inquiétant. Le 4 juillet, lors d'une web conférence, France Stratégie, cellule de veille rattachée à Matignon, présentait les conclusions d'une note d'analyse « Risques climatiques, réseaux et interdépendances : le temps d'agir ». Celle-ci a été réalisée sur la base d'échanges avec des professionnels des réseaux d’électricité, de transports routier et ferroviaire et de télécommunications. « Nous sommes fortement dépendants des infrastructures de réseau, or les effets du changement climatique peuvent les impacter très fortement », souligne Claire Rais Assa, cheffe de projet « transition écologique et territoires » à France Stratégie, qui a contribué à l'étude. Exemple, à l'été 2021, en Allemagne, la tempête a endommagé les routes, mais aussi les câbles situés en dessous. L’année précédente, à l’automne, dans les Alpes-Maritimes, les dommages aux ouvrages d'art de la ligne ferroviaire ont fait partie des ravages causés par la tempête Alex. Aujourd'hui, d'après France Stratégie, les risques identifiés par les opérateurs sont nombreux et de nature diverse. Certains relèvent de « risques tendanciels », comme la sécheresse, ou ponctuels, à l'image des incendies qui en découlent.
Par ailleurs, selon le type de réseau, les impacts redoutés ne sont pas les mêmes. Parmi ceux que craint principalement le ferroviaire figure, par exemple, la chaleur, qui induit un risque de dilatation des rails. Réseaux électrique et de téléphonie fixe partagent une même vulnérabilité : celle des poteaux, en cas de tempête. Par ailleurs, «tous les opérateurs mentionnent des risques qui ne sont pas physiques, mais liés à l'organisation », ajoute Anne Faure, cheffe de projet numérique, co-auteure de l'étude. C'est notamment le cas du risque sanitaire qui concerne les équipes de terrain chargées d'aller résoudre les difficultés, en cas d'épisode extrême. Et aussi celui des risques assurantiels et financiers, « enjeux très importants », pointe Anne Faure. Autre sujet crucial partagé, « le risque organisationnel lié à la multiplication des acteurs qui interviennent sur un réseau », poursuit la chercheuse. Recours à la sous-traitance, pluralité des gestionnaires compliquent la nécessaire coordination.
Nécessaire anticipation : tout reste à faire
Mais il y a plus problématique encore. « Ce qui accroît la vulnérabilité du système est le fait qu'il existe beaucoup d'interdépendance entre les réseaux. Cela génère des effets en cascade », explique Claire Rais Assa. Cette interdépendance prend différentes formes, qui peuvent se combiner. Elle est d'abord physique : le réseau ferroviaire, par exemple, essentiellement dépendant de l'électricité, ne peut fonctionner en cas de défaillance du réseau de celle-ci. A l'électrification des usages qui s'est généralisée, s'est ajoutée une numérisation accrue des fonctions qui accentue les interdépendances. La distribution de l'électricité, pilotée à distance, est dépendante du fonctionnement des réseaux de télécommunications. Pour l'ensemble des opérateurs, « le risque de surchauffe des équipements électriques et électroniques est présent », ajoute Anne Faure. Autre interdépendance encore, celle géographique : « souvent, les infrastructures sont rassemblées au même endroit », explique Claire Rais Assa. Réseaux de télécommunications, gaz, eau, sont souvent enfouis dans des mêmes tranchées, sous ou à proximité d'une route.
Face à ces enjeux pourtant cruciaux, les politiques publiques semblent manquer totalement d'anticipation. « Dans les politiques publiques d' adaptation au changement climatique, la question des interdépendances entre les infrastructures est assez absente », estime Claire Rais Assa. Les chercheuses ont fait trois constats principaux en matière de gouvernance. Le premier réside donc dans une « grande méconnaissance » de la réalité de ces interdépendances, souligne Anne Faure. Deuxième constat, alors qu'il faudrait anticiper, « aujourd'hui, beaucoup des opérateurs sont dans des stratégies de type réactif », poursuit Anne Faure. Le troisième constat : un manque de coopération et d'organisation entre les acteurs concernés, au niveau transversal et des territoires. Sur cette base, France Stratégie émet plusieurs préconisations. Dont la création d'une instance nationale qui réunirait l’État et les gestionnaires de réseaux, afin de partager des constats et d'élaborer une stratégie cohérente et concertée en matière d'adaptation des réseaux au changement climatique. En 2023 est prévu le vote de la loi de programmation Energie-climat. « Une fenêtre s'ouvre pour faire des propositions sur l'adaptation au changement climatique, et sur l'intégration de l'anticipation des problématiques de réseaux dans ce domaine », espère Claire Rais Assa.