économie
Cuir : « La France, premier pays à avoir mis au point un dispositif qui permet de remonter depuis une peau jusqu’à l’él…
Trois questions à Frank Boehly, président du Conseil National du Cuir, organisation interprofessionnelle de producteurs et utilisateurs de cuir qui regroupe 21 fédérations ou syndicats professionnels
Nouvelles obligations en matière de RSE, problèmes de transmission des entreprises, difficultés d’approvisionnement liées à la baisse des troupeaux… Tirées par les locomotives du luxe, les PME de la filière du cuir déploient des solutions nouvelles.
La directive CSRD qui étend l’obligation de publication d’informations extra-financières aux entreprises de plus de 250 salariés et 20 millions d’euros d’actifs s’impose à partir de 2025. Quel est son impact pour la filière du cuir ?
La plupart des PME de la filière cuir se situent au-dessous du seuil prévu par la directive. Elles n’auront donc pas à rédiger de rapports mais seront impactées de manière indirecte, via leurs donneurs d’ordres. Cela dit, il ne s’agit pas vraiment d’une nouveauté. En effet, notre filière comporte des locomotives emblématiques en matière de RSE : Hermès, Vuitton, Chanel, le groupe Kering… font référence dans le monde entier et leurs cahiers des charges sont déjà draconiens. Par ailleurs, nous sommes par principe favorables à ce type d’engagements et le Conseil National du Cuir accompagne les PME en ce sens. Déjà, le diagRSECuir, un outil digital très simple, donne aux dirigeants une vision de leur entreprise par rapport à la RSE et des actions à mener. Et aujourd’hui, nous sommes en train de bâtir un dispositif qui permettra à chacun des nombreux métiers du cuir de réaliser son bilan carbone en fonction de ses spécificités, et là aussi, d’identifier les actions à mener. La filière cuir est donc déjà bien engagée. Toutefois, il est clair que la nouvelle obligation légale va renforcer le niveau d’exigence déjà élevé des donneurs d’ordre.
Les politiques publiques favorisent-telles votre activité ?
Globalement, l’État est à l’écoute des entreprises. Lors de la crise du Covid, il a agi très tôt et massivement pour soutenir l’économie. Néanmoins, les aides étaient très nettement ciblées vers l’industrie. Or, le secteur du cuir est très diversifié, qui va de l’élevage jusqu’à la distribution. Par ailleurs, les aides à la digitalisation étaient notoirement insuffisantes : que peut faire un succursaliste qui compte 200 magasins avec le chèque gouvernemental de 500 euros ? Sur un autre sujet crucial, celui de la transmission des entreprises, nous avions demandé un statut spécial et nous n’avons pas été entendus. Nous avons donc mis sur pied notre propre dispositif d’accompagnement gratuit pour nos PME. Toutefois, aujourd’hui, si nous avons un souhait à exprimer, c’est celui d’arrêter le délire législatif. Par exemple, les lois AGEC (Anti-gaspillage et économie circulaire) et Climat résilience, votées à moins de deux ans d’intervalle, se sont superposées, voire télescopées. Pour les chefs d’entreprise, il en résulte une jungle incompréhensible.
Connaissez- vous, comme d’autres filières, des difficultés d’approvisionnement ?
Notre filière est confrontée à un enjeu fort, celui de la traçabilité des peaux. Pour celle de veau, première utilisée au sein de la filière, l’essentiel de l’approvisionnement se fait en France et en second lieu aux Pays-bas. En effet, l’Hexagone est l’un des premiers producteurs de peaux brutes – non travaillées-. Mais l’attention des éleveurs est avant tout tournée vers la qualité du lait ou de la viande, non vers celle des peaux. Ces dernières peuvent être abîmées, par exemple par des barbelés présents dans les élevages, essentiellement pour les bovins. Résultat, nous ne disposons pas d’assez de peaux de premier choix, seules sélectionnées par l’industrie du luxe et du haut de gamme qui constitue l’essentiel de la production en France. Mais aujourd’hui, la bonne nouvelle est que la France est le premier pays à avoir mis au point un dispositif qui permet de remonter depuis une peau jusqu’à l’élevage concerné. Mis au point par CTC, le CTI de la filière cuir, il a déjà été déployé pour les veaux, et son extension est en cours pour les jeunes bovins. Accroître la quantité de peaux de bonne qualité est aujourd’hui indispensable. En effet, l’industrie du cuir a des besoins importants alors que le nombre d’élevages diminue.