Enquête IFOP : le moral des dirigeants de TPE en berne

Dans une conjoncture économique « préoccupante », les chefs d’entreprises des très petites entreprises montrent une « défiance inédite » envers l’exécutif en France et un « niveau de pessimisme record » au vu des 10 années écoulées. Pas rassurant, malgré quelques tendances positives.

(c) adobestock
(c) adobestock

Selon le 78ème « baromètre TPE » de l’IFOP mené en décembre 2024, commandité par Fiducial, société de services pluridisciplinaires, un quart seulement des dirigeants de très petites entreprises en France (de moins de 20 salariés, plus de 50 000 euros de chiffre d’affaires) prévoit une croissance de leur activité en 2025. Et 85% se disent pessimistes s’agissant du « climat général des affaires ». Les plus inquiets (score de 90%) appartiennent aux secteurs de l’industrie et de la santé, juste avant le bâtiment et les services (87%).

Cette étude a été rendue publique ce 22 janvier, lors d’une table ronde de l’AJpme (Association des journalistes spécialistes des PME) où est intervenu Alain Tourdjmann, directeur des études et de la prospective du groupe BPCE (Banque Populaire, Caisses d’Epargne, Natixis).

Sursaut de confiance ?

Il en ressort que 85% de ces mêmes dirigeants déclarent ne pas avoir confiance dans les mesures économiques annoncées. A noter que la question a été posée avant et après la mise en place du gouvernement de François Bayrou. La confiance s’avère plus élevée (20%) depuis cette nomination. Les motifs d’inquiétude portent sur la situation économique (pour 86% des répondants), le social (85%), l’avenir du pays (82%), son image à l’international (81%) et le fonctionnement de nos institutions (79%).

Croissance pour 25% des dirigeants

Même sur leur propre activité, 56% des petits patrons se disent inquiets : c’est un décrochage de 8 points en trois mois, soulignent les responsables de l’étude.

Près d’un dirigeant sur deux (46%) dit rencontrer des difficultés financières, notamment dans le bâtiment et l’industrie. « C’est la première fois qu’on est en dessous de 50% , depuis que ce baromètre existe », observe Eric Luc, directeur de la communication de Fiducial.

Autre alerte : un patron sur quatre seulement prévoit de croître en 2025, face à 45% qui anticipent une stagnation et 30% une baisse (ils étaient seulement 21% lors de la précédente enquête).

Faut-il s’interroger ici sur une nouvelle éthique qui mettrait en cause la « croissance à tout prix » ? En fait, on constate aussi et surtout que la motivation porte d’abord sur la création d’activité et sur la rentabilité à périmètre égal.

Embauches au plus bas

Fort décrochage également (-12 points) s’agissant des embauches : seulement 7% des dirigeants de TPE ont recruté ou prévu d’embaucher à fin 2024. On est retombé au seuil de la crise post-2008. Petite consolation : dans les entreprises de plus de 10 salariés, ils ont été 30% à avoir embauché. Pour 2025, 16% envisagent de recruter et à peine sur deux postes (c’est moins qu’en 2023 : 2,3 postes).« On peut en déduire qu’ils vont développer leur activité à effectifs constants, c’est à dire en poussant la productivité », observe Alain Tourdjmann (BPCE).

Créations et reprises : un gros déficit

L’enquête IFOP dresse un état des lieux de l’entrepreneuriat des TPE sur 10 ans : 68% résultent d’une création et 32% d’un reprise. Pour 47% des dirigeants, « être à son compte », libre, indépendant, reste le plus motivant. La passion du métier est toujours un critère clé (46%), bien avant le goût du challenge (23%) - qui a beaucoup progressé (14% en 2010).

Et si c’était à refaire ? La grande majorité (71%) disent qu’ils retenteraient l’aventure. Mais ils ne sont plus que 47% à ajouter « certainement » (ils étaient 56% en 2010). Et, il y a dix ans, ils étaient 65% à recommander à leurs enfants ou petits-enfants de devenir chef d’entreprise ; ils ne sont plus que 55% aujourd’hui. Précision de Flora Baumlin, directrice de la clientèle d’IFOP Opinion, responsable de l’étude : « Plus l’entreprise est ancienne, moins son dirigeant recommande de devenir patron ».

Commentaire d’Alain Tourdjmann : « Ce sont encore et toujours les plus petites entreprises qui sont les plus fragiles ; ce sont celles qui enregistrent le plus de cessations d’activité, et surtout dans l’industrie et le bâtiment. »

La transmission, problème majeur

Cet état de fait est à rapprocher de la toute récente statistique de la Banque de France : 65 764 défaillances d’entreprises en 2024 (cumul sur 12 mois, toutes tailles d’entreprises, tous secteurs confondus ; chiffre provisoire publié le 17.01.2025). « Le problème est que cette statistique en cache une autre plus critique : 330 000 entreprises ont arrêté leur activité sans reprise. C’est quatre fois plus et on n’en parle jamais ! », s’insurge Alain Tourdjmann. Il ajoute : « Au-delà de la question de la croissance des entreprises, on est confronté aux conditions et au contexte de leur développement. Le problème reste celui de la transmission. Ils sont toujours plus nombreux à envisager d’arrêter sans pouvoir transmettre. C’est un sujet majeur, trop absent dans le débat public ».

63% ne souhaitent pas grandir

Au cours des dix ans écoulés, la majorité des dirigeants de TPE ont conservé la même activité, avec un effectif relativement stable mais tendant à la baisse. Un peu plus d’un patron sur trois a dû diminuer la taille de son entreprise. Et 17% ont pu augmenter les effectifs, ce qui est mieux qu’au lendemain de la crise de 2008 (14%).

Se projetant sur les dix ans à venir, 39% des dirigeants interrogés disent vouloir cesser ou transmettre leur entreprise. Et effectivement, plus elle est petite, plus ils souhaitent s’arrêter. Autre observation : « Plus ils sont âgés, plus ils envisagent de céder leur affaire. Ce n’est pas principalement à cause des contraintes économiques», constate Alain Tourdjmann.

A noter que 19% seulement envisagent d’augmenter leurs effectifs, face à 63% qui se déclarent satisfaits de la taille actuelle de leur entreprise.

Quelles mesures faudrait-il prendre ? « La France détient toujours le record des prélèvements obligatoires », déplore l’économiste de la BPCE. « Réduire les impôts à la production, c’est facile, ce n’est pas nouveau. Il faut aussi revenir à un équilibre entre les dépenses publiques et l’efficacité économique du pays. Il faut prendre des mesures au niveau de la taxation des entreprises et de la taxation du travail ».

Pierre MANGIN