Entrepreneurs : les leçons de l'échec

Deux entrepreneurs ont témoigné de la faillite de leur entreprise, lors des Universités d’été de « l’Economie de demain ». Un épisode douloureux qui les a menés tout près du burn-out mais ne les empêche pas … de vouloir recommencer .

© Adobe Stock.
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Des témoignages bruts de décoffrage. La rencontre « Concilier impact et rentabilité : apprentissages de ceux qui se sont plantés », s'est tenue lors des « Universités d’été de l’Economie de demain », organisées par le mouvement Impact France, à Paris, le 28 août dernier. Deux entrepreneurs, Cyril Noury et Benjamin Peri ont apporté leur témoignage sur les écueils sur lesquels se sont fracassées leurs apparentes « sucess stories » respectives.

Le premier a fondé Informa'truck / IciRépar (2019). Il visait une croissance progressive pour son Entreprise solidaire d'utilité sociale (Esus). Celle-ci proposait un service de réparation d'ordinateurs dans les zones faiblement peuplées, grâce à une flotte itinérante de réparateurs (en insertion professionnelle). Le second a fondé Pyxo (2018) pour proposer un service de réemploi et consigne d'emballages pour la restauration. « Dès le début, nous avions en tête le modèle de la Silicon Valley. Nous voulions avoir un impact massif , changer la face de la gestion d’emballages en France. Cela sous-entendait un modèle d'hyper croissance », témoigne Benjamin Peri. Et de fait, en 2021, l'entreprise lève 4 millions d'euros auprès de plusieurs fonds d'investissement, rassurés par le prestige du principal client de la start-up : MacDo France a anticipé les obligations fixés par la loi au secteur de la restauration rapide en matière de réemploi des emballages. En quelques mois, Pyxo passe de 2 à 40 personnes... « C'était la belle aventure, mais Mac Do France était un peu satellite. Les USA ont repris le contrôle », commente Benjamin Peri. Pour lui, la maison mère a préféré investir dans le lobbying anti-reémploi à Bruxelles et mis fin aux velléités vertueuses de Mac Do France. Résultat, début 2023, Pyxo réalise un plan de licenciement (la moitié des effectifs), se tourne vers la restauration collective. Insuffisant. A la fin de l'année, l'entreprise opte pour un mandat ad hoc qui lui permet d'obtenir un moratoire sur ses dettes (3 millions d'euros), avant d'en arriver à la case redressement judiciaire.

Informa'Truck lui, avait levé 1,7 million d'euros, avant de chercher des nouveaux investisseurs via l'émission de M6, « Qui veut être mon associé », en février 2024. C'est un échec qui s'ajoute à d'autres, « avec des fonds à impact qui ne me parlent que de rentabilité », pointe Cyril Noury. En avril 2024, c'est la fin. Les clients affluent, mais la trésorerie manque, l'entreprise n'est plus en mesure de verser les salaires. « Nous étions une entreprise à impact avec un business modèle qui se met doucement en place. Elle n'a pas tenu jusqu'au moment de la rentabilité », résume Cyril Noury.

Sous la violence du choc

Le fondateur d'Informa'Truck a liquidé son entreprise, celui de Pyxo lui a trouvé un repreneur. Mais tous deux ont rencontré des difficultés souvent comparables dans leurs parcours respectifs. « Il fallait gérer la fin d'activité, rendre le matériel en réparation aux clients... », se souvient Cyril Noury. L'entrepreneur a également dû revendre ses camions achetés 80 000 euros, 19 000 euros. « Cela énerve », pointe Cyril Noury. Benjamin Peri, lui, évoque une période un peu « schizophrène », alternance de rendez-vous pour trouver un repreneur et de coups de fils pour rassurer clients et créanciers inquiets... Prévenir les salariés qu'ils risquent – ou qu'ils vont – perdre leur emploi a constitué l'une des difficultés majeures pour les entrepreneurs. Tous deux ont opté pour la transparence. Cyril Noury a tenu des points réguliers pour tenir au courant les salariés de l'évolution de la situation, avant de les prévenir : « Il va falloir chercher du travail, ici, c'est fini ». En dépit de ces précautions, des conseils promulgués, « il y a tout de même des personnes qui ont du ressentiment », note Cyril Noury. Le ressenti de Benjamin Peri est comparable. Dans son rôle d'entrepreneur, « licencier, c'était ma hantise », explique-t-il. Aujourd’hui, il regrette de ne pas avoir eu la lucidité de réduire le nombre de salariés plus tôt, ce qui aurait donné de meilleures chances de sauver l'entreprise. Autre ressenti commun des deux entrepreneurs, la rudesse du « choc administratif » du processus. Il a été un peu atténué par la progressivité de la démarche pour Benjamin Peri. « Étant passé par une phase de mandat ad hoc, j'avais déjà un mandataire social que nous avons conservé ensuite durant la période de redressement judiciaire », témoigne-t-il. Mais Cyril Noury, lui, a eu le sentiment d'être « jeté en pâture aux lions ».

Au global, cette expérience professionnelle a eu un impact personnel destructeur pour les deux hommes. « La fin d'une entreprise est un moment extrêmement violent, en particulier lorsque l'on fait de l'impact. Car derrière, il y a un combat, l'espoir de changer le monde », analyse Cyril Noury. « On n'est pas formé à cela, c'est un choc. Le burn-out n'était pas loin », confirme Benjamin Peri. Tous deux pointent le rôle crucial joué par leur entourage – professionnel et personnel - . L'un d'eux a recouru au service « call me » du CJD, Centre des jeunes dirigeants, qui met des psychologues à disposition des entrepreneurs.

Reste que pour douloureuse qu'elle ait été, l'expérience n'a pas découragé les deux entrepreneurs. Depuis la reprise de son entreprise, Benjamin Peri est devenu salarié. Il apprécie les vacances, le CDI... mais sur sa table, il y a déjà « une liste de 53 projets... ». Cyril Noury a déjà recréé une nouvelle société : « je ne pouvais pas laisse tomber le combat de la réparation pour tous ». Cette fois-ci, il a opté pour un business modèle « frugal », sans investisseurs.