JOP Paris 2024 : la course aux données et aux contenus
Plus de 10 000 athlètes de 206 nations pour 329 épreuves de 32 disciplines…Et 15 millions de visiteurs. Les JOP Paris 2024 additionnent des données record et nécessitent moult mesures de sécurité. Reportage à la Courneuve, dans un méga datacentre flambant neuf.
A partir du 26 juillet, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris verront affluer plus de 300 000 spectateurs rien que pour la cérémonie d’ouverture ! Dès le 18 juillet, l’accès à certains secteurs de la Capitale et sites olympiques seront soumis à contrôle 24h sur 24 - notamment à proximité de la place de la Concorde, Trocadéro, Tour Eiffel, Stade de France… Pas moins de quatre périmètres d’accès ont été définis (gris, très restreint, noir, rouge et bleu, relativement ouvert), avec contrôles des personnes par ‘QRcode’. Des millions de visiteurs, non encore inscrits avec laisser-passer (« Pass jeux ») ou accréditation ou billet, vont devoir s’enregistrer sur une plateforme numérique. Six billetteries de vente et revente ont été ouvertes.
On comprend que ce dispositif qui induit une vaste collecte de données personnelles pour six mois à trois ans, voire sept ans, soit nécessairement sécurisé. Les menaces de cyberattaques sont prises très au sérieux. Sur les six derniers mois, une demi-douzaine de vols d’ordinateurs et de clés USB contenant des données sur les JO a conduit à rehausser la garde.
A ces flux de données, s’ajoute la retransmission des compétitions et évènements. Quasiment tous ces contenus transitent par Internet via des réseaux câblés (fibre optique) et non plus via des réseaux radio (hertziens) ou satellites. Pour ces JO de Paris 2024, on prévoit 4 milliards de téléspectateurs dans le monde. Un record. Entre autres chaînes, Canal+ / Eurosport proposera 70 heures de diffusion en direct, vers 145 millions de téléspectateurs « linéaires ». France TV, alliée à TVU Networks, prévoit 10 heures de direct par jour.
De Alibaba à Atos
Initialement, une bonne partie de la gestion de ces Jeux 2024 devait être confiée à Alibaba, géant chinois du ‘cloud’ et sponsor majeur. Après réévaluation des risques, l’hyperscaler chinois a vu sa contribution réduite (billetterie, diffusion de certaines compétitions et résultats). C’est le français Atos qui, après sauvetage financier, a récupéré les missions de cybersécurité et la gestion des données sensibles. En effet, les autorités anticipent huit à dix fois plus de cyber-attaques par rapport aux JO de Tokyo (2021), où 450 millions d'attaques avaient été déjouées.
Sous haute surveillance
On comprend dès lors que les datacentres qui véhiculent toutes ces données et contenus soient placés sous haute surveillance. L’occasion nous été donnée de le vérifier à La Courneuve (93), ce 13 juin, en visitant un datacenter flambant neuf : le Paris Digital Park de Digital Realty (ex Interxion). Le premier quart de méga-datacenter circulaire a été ouvert en 2022 ; le dernier le sera en avril 2025. Montant de l’investissement : un milliard d’euros. De l’extérieur, l’édifice surpasse les immeubles environnants avec son vaste anneau de 250 mètres de diamètre, comparable à celui du Stade de France, non loin de là (875 m de circonférence).
A l’entrée, les contrôles d’accès évoquent ceux de la Banque de France : portail en acier, portier électronique sous caméras de surveillance et, dans l’enceinte quasi carcérale, un premier sas de contrôle individuel vous attend comme dans un aéroport ; d’autres sas se succèdent à l’intérieur du bâtiment…
L’édifice compte cinq niveaux, offrant au total 40 000 m2 de salles informatiques à accès restreint ou interdit. La visite est très encadrée : photos interdites. « Ici ce sont des serveurs de services publics », glisse Fabrice Coquio, directeur de Digital Realty France. Dans une des salles, de plus 1 000 m2, s’alignent de longs couloirs de baies informatiques empilées par milliers, des ‘racks’ de serveurs bien visibles sur 2 m de hauteur, mais inaccessibles : ils sont barricadés derrière une solide palissage grillagée.
Des dizaines de générateurs en secours
Les entreprises et administrations clientes trouvent ici des dispositifs hautement sécurisés 24h sur 24. L’alimentation en électricité est cruciale. Au moins deux fournisseurs sont à pied d’œuvre en redondance (RTE et Enedis), avec sept à huit câbles à très haute tension. En cas de coupure d’électricité, des générateurs apportent une autonomie de 72 heures. Il s’agit d’énormes moteurs de 16 cylindres alimentés non pas en fioul, mais en HVO (biocarburant de synthèse, émettant 50 à 90% moins de CO2), chacun délivrant 2 à 3 mégawatts. A terme, en incluant les applications de l’IA sur de très gros calculateurs (dits HPC -high performance computers), il faudra atteindre une capacité d’autonomie de 85 mégawatts (consommation d’une ville de 100 000 habitants) pour secourir 100 à 150 000 serveurs.
Fini les salles froides
La température ambiante est d’environ 25°, car les serveurs récents acceptent de fonctionner à 40°, voire 45°. Les systèmes de refroidissement devenus très sophistiqués alternent entre ‘free cooling’ (circulation d’air frais) et, de plus en plus, le ‘direct liquid cooling’(eau rafraichie).
Un tel datacenter, comme ceux des concurrents Equinix, Data4 ou Orange (Val-de-Reuil Eure ; Amilly, Loiret ;Lyon), se définit comme « hub Internet » mondial. Le cœur du dispositif se situe dans les ‘meet-me rooms’ : c’est là, dans de vastes armoires à tiroirs que sont câblées des « jarretières » permettant d’interconnecter, à la demande, des fibres optiques entre producteurs d’images - comme Canal Plus, Disney, présents ici - et une centaine d’opérateurs télécoms ou FAI (fournisseurs d’accès Internet). Ici s’orchestre la diffusion mondiale en flux constant (streaming), sur des liaisons télécoms allant jusqu’à 400 gigabits/seconde ! On y trouve également les acteurs du ‘cloud’, les ‘hyperscalers’ (dont les GAFAM).
« Nous constatons depuis huit ans, une explosion des diffusion médias sur toute la planète », observe Fabrice Coquio. « Les performances sont là : 8 millisecondes pour Paris - Marseille et 16 millisecondes pour Marseille - Le Caire. Le tour du monde s’effectue en 2 secondes ».
Gouffre énergétique`
Un tel datacentre représente un gouffre énergétique ; mais, paradoxalement, la concentration sur de tels sites permet de mutualiser, et donc d’optimiser la ressource. Et même si le ratio d’efficacité énergétique (ou PUE, power usage effectiveness : rapport entre consommations des serveurs et énergie globale nécessaire, dont le refroidissement) semble stagner à 1,3, il est envisageable de l’abaisser à 1,2. A condition de plafonner le dégagement de chaleur des serveurs… Et d’œuvrer pour plus de sobriété numérique. Mais, hélas, force est de constater que la période des JO ne s’y prête pas.
Pierre MANGIN