Economie

L'Etat actionnaire reviendrait-il à la mode ?

Au fil de l'histoire, l'interventionnisme de l’Etat dans l'économie n'a pas toujours semblé une si mauvaise idée... A l'occasion des 20 ans de l'APE, Agence des participations de l’État, retour sur les évolutions de l'Etat actionnaire et sur un enjeu qui redevient crucial à l'heure où la géopolitique s'impose aux entreprises.

© Adobe Stock.
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Coups de balanciers. Le 23 septembre, à Bercy, l'APE, Agence des participations de l’État, qui gère aujourd'hui des participations publiques dans des entreprises à hauteur de 160 milliards d'euros, organisait une journée de colloque pour célébrer ses 20 ans. A cette occasion, Hadrien Coutant, maître de conférences en sociologie à l'Université de technologie de Compiègne, replaçait la naissance de cette agence dans le cadre d'une histoire qui a connu des tournants majeurs : celle des entreprises publiques et de leur légitimité. Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, PTT, chantiers navals, Renault, Crédit Lyonnais... « A partir de 1945 et jusqu'aux années 1980, l’Etat contrôle de nombreuses entreprises à statut varié (…). Cette pratique est considéré comme légitime », rappelle le chercheur. A l'époque, on estime que ces entreprises constituent un moyen de la politique publique et le sujet de leur rentabilité n'est que l'un des paramètres. Un tournant majeur advient avec les années 1980, l'ère de Thatcher et de Reagan : la possession d'entreprises par l’Etat devient un enjeu politique brûlant.

En France, la vague de nationalisations du gouvernement socialiste de 1981 est détricotée. On assiste à une « délégitimation des entreprises publiques », souligne Hadrien Coutant. Ces sociétés sont jugées inefficaces, ce qui apparaît une « fausse évidence » à la lumière de recherches actuelles, pointe le chercheur. Par ailleurs, les ambitions de politique publique auparavant attribuées à ces entreprises sont abandonnées. Puis, après les désastres du Crédit Lyonnais (pertes de plus de 130 milliards de francs) et de France Télécom, l'APE est créée pour faire de l’Etat un actionnaire au sens strict du terme, en 2004. L'agence, intégrée au ministère de l’Économie, en rapporte au ministre. Avant elle, la mission de gérer les participations publiques était exercée par la Direction générale du Trésor. « L'APE est une structure au sein de l'Etat qui comprend l'entreprise et qui a pour vocation de faire grandir les entreprises du portefeuille », résume Bruno Bézard, aujourd'hui managing partner chez Cathay Capital Private Equity. Au début des années 2000, il faisait partie de l'équipe de Bercy qui a conçu et mis en place l'APE. Un véritable tournant à ses yeux, symbolisé par un « meurtre sémantique » : le mot « tutelle » qui évoque une forte asymétrie des relations, a disparu au profit du terme « actionnaire ».

L'art subtil du nécessaire interventionnisme de l'état

Au cours du colloque, Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie et Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault Group, ont témoigné de leurs bonnes relations avec l'APE. En période de crise, comme celle du retrait de Russie après la crise ukrainienne, « nous avions le message de l’Etat qui était ’faites au mieux’». C'était encourageant. (…). A aucun moment, l'APE n'a compliqué la vie de l'entreprise », a expliqué Jean-Dominique Senard. Catherine MacGregor, elle, a souligné l'intérêt d'avoir un investisseur de très long terme dans le cadre de sa démarche de transition énergétique. Et aussi du « supplément d'âme », de l'investisseur public, capable de conforter l'entreprise dans ses engagements, comme la féminisation de la société et la décarbonation. Confortant ces témoignages, la Cour des comptes a estimé que l'APE exerçait ses missions avec « diligence », dans un rapport publié le 16 juillet 2024.

Mais au delà du professionnalisme de l'APE, le contexte actuel avec des enjeux géopolitiques devenus prégnants appelle à une réflexion nouvelle du rôle de l'Etat dans l'économie, ont souligné plusieurs intervenants. « Il va devenir fondamental de structurer les relations entre l'Etat, l'économique et le militaire », a pointé Jean-Dominique Senard. Dans le secteur énergétique, très stratégique, « il faut une planification, une visibilité de très long terme », a souligné Catherine MacGregor. Évoquant le capitalisme d'Etat chinois et le soutien américain à ses entreprises via l'IRA, Inflation reduction act, Dominique Carlac'h, représentante du Medef a posé la question de « comment on organise cette interaction entre entreprises et Etat ». État stratège, Etat régulateur, Etat actionnaire, Etat protecteur... « Il faut être attentif aux modes d'intervention. L'Etat actionnaire n'est pas le seul mode d'intervention. C'est un art subtil », a souligné Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers (AMF).