La biodiversité, urgence méconnue pour les entreprises ?
Si de nombreuses entreprises s'engagent pour la cause du changement climatique, la biodiversité apparaît comme un enjeu plus lointain et abstrait. Le Medef s'efforce de les sensibiliser à cette autre urgence écologique, impératif économique pour demain.
Quel rapport entre une PME qui propose des services et la disparition d'espèces animales ou la destruction des indispensables milieux humides ? Le lien est loin d'être apparent, et le Medef a entamé une campagne de sensibilisation au sujet de l'importance de la biodiversité. Le 23 mars, il organisait un webinaire : « Biodiversité : les entreprises s’engagent ». Quelques pionniers témoignaient de leur démarche. Parmi eux, l'exemple le plus célèbre est sans doute celui du groupe Rocher (2,75 milliards d'euros de chiffre d’affaires,17 700 collaborateurs), né en Bretagne. Fabriquant notamment des produits cosmétiques, il cultive des jardins qui respectent la biodiversité, et sont autant de « refuges LPO », Ligue pour la Protection des Oiseaux. « Au cœur de notre modèle économique, nous avons travaillé la question de la filière végétale », explique Claude Fromageot, directeur développement durable du groupe. Lequel développe de nombreux dispositifs dont une « Nature Academy » destinée à former les salariés, ou encore le soutien à la plantation des arbres dans le monde.
Autre exemple, celui du groupe familial Séché Environnement (700 millions d'euros de chiffre d'affaires, 4 600 salariés), spécialiste du traitement et de la valorisation des déchets. L'attention portée à la biodiversité remonte à l'origine de la société, il y a une trentaine d'années, fruit de la « vision patrimoniale du développement industriel qui est celle du fondateur de l'entreprise », explique Pierre-Yves Burlot, directeur du développement durable du groupe. « Chaque fois qu'il y a un projet de croissance, la biodiversité fait partie de la grille d'analyse », précise-t-il. Pour ce, « il est indispensable de réfléchir à la structuration de l'action ». Ainsi, cela fait plus de 20 ans que l'entreprise a intégré des écologues, des spécialistes de l'impact des activités humaines sur l'environnement et la biodiversité. Aujourd'hui, elle dispose d'un service de cinq personnes qui se consacrent au sujet, désigné comme une priorité. De plus, « nous diffusons au maximum ces connaissances aux salariés, par le biais d'ambassadeurs volontaires qui disposent de temps de travail pour ce faire », poursuit-il.
Autre volet de la politique du groupe : le recours à des experts externes, comme le Muséum d'histoire naturelle, ou des associations, à l'image de la LPO. Et enfin, « nous souhaitons participer à des démarches collectives », conclut Pierre-Yves Burlot. Séché Environnement est par exemple partie prenante de la démarche « entreprises engagées pour la nature », portée par l'OFB, Office français pour la Biodiversité, rattaché au ministère de la Transition écologique et à celui de l'Agriculture et de l'Alimentation. Au delà du partage d'expérience, « le véritable avantage de cette participation, c'est aussi de pouvoir faire rayonner nos actions à l'international (…). Nous diffusons ces pratiques vers nos filiales, afin qu'elles deviennent des références dans les pays où nous nous implantons », dévoile Pierre-Yves Burlot. Un véritable enjeu, pour une entreprise qui réalise environ 40% de son chiffre d'affaires hors de France.
« Si on veut avoir un coup d'avance, on pense comptabilité »
L'exemple de Séché Environnement illustre la manière dont le respect de la nature peut se muer en potentiel avantage concurrentiel. De fait, la biodiversité recouvre des enjeux multiples, économiques, à moyen terme (pas seulement pour les entreprises dont le cœur de métier est concerné par le sujet) et immédiats, écologiques. « C'est une tragédie qui se joue, silencieuse, mais réelle », explique Pierre Dubreuil, directeur général de l'OFB. Les chiffres officiels sont glaçants : 26 % des espèces évaluées sont éteintes ou menacées en France. En métropole, 38% des chauves-souris ont disparu entre 2006 et 2016. En cause, d'après l'OFB, une multitude de facteurs : la déforestation, l'artificialisation des sols (65 758 hectares par an, entre 2006 et 2016), les pollutions industrielles... Or, pour lutter contre ce phénomène, « les entreprises sont des acteurs fondamentaux pour réaliser ce changement (…). Il nous faut une approche non seulement curative, mais aussi préventive », estime Pierre Dubreuil.
Une analyse partagée par le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. Pour lui, la biodiversité constitue aujourd'hui le « parent pauvre » des sujets écologiques, éclipsé par celui de la réduction des émissions de CO2. Pourtant, « les deux sujets sont aussi importants. Il est essentiel de faire émerger le sujet de la biodiversité (…). Les entreprises ont un rôle à jouer. Elles sont à la fois le problème et la solution », explique-t il, plaidant pour une « croissance responsable, qui préserve au maximum la biodiversité ».La démarche est loin d'être évidente : cette préservation représente un coût pour les entreprises, comme, par exemple, le fait de rendre à l'état de nature une friche industrielle. « Il faut dégager une capacité d'investissement », prévient Geoffroy Roux de Bézieux. Mais les entreprises ont-elles réellement le choix ? Si l'enjeu de la biodiversité est écologique, à moyen terme, il pourrait s'imposer comme une contrainte de survie économique pour les sociétés. Bientôt, « les consommateurs et les investisseurs ne suivront plus une entreprise qui ne respecte pas la biodiversité », prévient le président du Medef.
A cela s'ajoute un enjeu « d'attractivité employeur », complète Florent Vilbert, directeur de l'Agence bretonne de la biodiversité, chargée notamment d'accompagner les entreprises dans leur démarche. Pour lui, il s'agit de préparer l'avenir : « il existe une question de proactivité par rapport à la réglementation. Celles-ci se multiplient, se succèdent. Cela peut devenir une menace pour l'entreprise, de ne pas avoir anticipé », estime-t-il. Et si, aujourd'hui, la pression se concentre sur la fiscalité, « si on veut avoir un coup d'avance, on pense comptabilité ». Dans ce domaine, pour l'instant, en effet, les impacts négatifs sur la biodiversité sont considérés comme des « externalités » négatives. Mais à l'avenir, Florent Vilbert prévoit une « intégration pécuniaire de la nature » dans la comptabilité et les modèles économiques des entreprises.
En terme de politiques publiques, l'enjeu de la biodiversité se fait plus prégnant. Avec des contraintes ( délit d'écocide, prévu par la loi Climat ). Mais aussi des opportunités, avec dans le cadre du plan de relance, des appels à projets, comme celui en faveur de la biodiversité (250 millions d'euros).