La quête du « profil idéal » freine les recrutements

Le webinaire de RH Matin « Hard skills, soft skills et "profil idéal" : dissiper les malentendus dans l’équation du recrutement » a mis en lumière un trait culturel français consistant à vouloir recruter le profil idéal. Pour lutter contre les tensions du marché du travail et les pénuries de candidats, les entreprises ont pourtant intérêt à élargir leur horizon de recrutement.

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91 % des candidats ont déjà ressenti un certain décalage par rapport aux compétences exigées dans une offre d’emploi, au point de ne pas postuler pour ne pas perdre de temps ou ne pas prendre de risque. « Il y a des candidats qui correspondent partiellement à un profil, mais au regard de ce qui est mis en avant dans une annonce, ils s’excluent d’eux-mêmes du processus de recrutement, ayant ancré cette culture du profil idéal », commente Thibault Maire, expert du marché du travail chez Indeed France. Une tendance qui est d’autant plus forte du côté des candidats féminins, lorsque l’offre d’emploi ou le nombre de compétences demandées sont trop longs, ajoute-t-il. Thibault Maire complète cette quête du profil idéal avec la « culture française du diplôme » quand, dans le même temps, Outre-Atlantique « de grandes entreprises américaines abolissent la nécessité d’avoir un diplôme universitaire pour être recruté à des postes de développeur logistique ».

Autres résultats significatifs de l’enquête Indeed menée en février dernier* qui confronte le point de vue des recruteurs et des salariés issus de PME, ETI et grands groupes : 90% des candidats pensent qu’il existe effectivement, en France, une forte culture du « profil idéal », 90% encore, que les recruteurs peinent à considérer les candidatures n’ayant pas exactement le profil attendu et 89% trouvent que les profils atypiques sont trop systématiquement mis de côté. Des résultats qui prouvent que les entreprises peuvent passer à côté de profils de candidats qui auraient pourtant une grande partie des compétences nécessaires pour postuler.

Barrière à l’emploi

Résultat, un sentiment de frustration côté candidat et de barrière à l’emploi, lorsque leur profil ne correspond pas parfaitement à l’offre d’emploi. Ainsi, 74% des talents en recherche d’emploi « n’osent pas suffisamment postuler aux offres lorsqu’ils n’ont pas toutes les compétences demandées ». Cette quête du « profil idéal », reconnue par 83% des recruteurs, renforcerait les difficultés de recrutement. « Les entreprises ont un certain profil en tête et ne recrutent que si le candidat correspond exactement à ce profil », constate Thibault Maire. Explications : « Jusqu’alors les entreprises pouvaient se permettre d’avoir cette culture de profil idéal vu le nombre de candidats disponibles sur le marché du travail. Mais c’est devenu l’alpha et l’oméga, alors que l’on sort d’une période de chômage de masse ».

De leur côté, 86 % des recruteurs éprouvent des difficultés à trouver un profil correspondant au poste proposé. Deux tiers d’entre eux s’attendent à ce que, dans les cinq prochaines années, le recrutement de personnes possédant des compétences spécialisées se complexifie davantage. Parmi eux, un quart estiment même que ces recrutements seront beaucoup plus difficiles. « Ces difficultés multisectorielles devraient perdurer pour des raisons démographiques de vieillissement de la population et du différentiel constaté entre compétences demandées et celles proposées par un candidat », signale Thibault Maire. Indeed enregistre d’ailleurs une hausse de 60% du volume des offres d’emploi.

Hard skills vs soft skills

Autre déconvenue dans l’équation de recrutement, les candidats se montrent davantage préoccupés par les hard skills, tandis que les recruteurs scrutent quant à eux les soft skills. Une divergence de vue qui engendre de la frustration des deux côtés. « Il y a un entre deux à trouver », consent Thibault Maire. Les recruteurs, ayant anticipé une pérennisation des difficultés de recrutement, sont prêts à revoir leurs pratiques en matière d'embauche. Six sur dix se montrent même positifs quant aux concessions nécessaires. Parmi le top 5 des critères sur lesquels les recruteurs seraient prêts à faire des concessions figurent le niveau de diplôme, l’expérience professionnelle, les compétences métiers spécifiques et les compétences linguistiques. Globalement, les entreprises semblent donc prêtes à faire plus de concessions sur les hard skills. La moitié d’entre elles sont enclines à développer des formations internes, 38% à recruter le plus tôt possible, soit embaucher des étudiants en apprentissage, inciter les collaborateurs à suivre des formations externes en mettant à leur disposition une plateforme de e-learning ou en les aiguillant sur l’utilisation de leur CPF (Compte personnel de formation), un quart à avoir davantage recours à des prestataires externes ou encore à l’automatisation de certaines tâches.

Pour parvenir à leurs fins, entreprises et recruteurs doivent consentir à faire des efforts, à se montrer moins exigeants et plus ouverts dès le stade de la rédaction de l’offre d’emploi. « Certaines offres sont beaucoup trop détaillées dans la description du poste ou les compétences requises », explique Thibault Maire. La solution ? Réduire leur taille et s’en tenir aux compétences indispensables, pour ne pas se priver de certains profils.

*Enquête OpinionWay réalisée pour Indeed en février 2023, auprès de 519 recruteurs et 517 salariés

Charlotte DE SAINTIGNON