La seconde main, dernière mode des vêtements
Entre souci d'économies et d'écologie, les Français achètent de plus en plus de vêtements d'occasion. Le monde de la mode s'est emparée de cette tendance sociétale.
S'agit-il d'une simple mode ? De plus en plus de Français achètent des vêtements d'occasion. Et la pandémie a boosté la tendance : elle a renforcé chez les consommateurs la prise de conscience de la nécessité d'adopter des comportements plus durables, tout en leur donnant le temps de mettre de l'ordre dans leurs placards…Aujourd'hui, un Français sur trois se déclare prêt à renoncer à l'achat de vêtements neufs, et 70% d'entre eux expliquent vouloir consommer de manière responsable, d'après une enquête Opinion Way pour Rakuten (juin 2020). Mais les motivations – qui peuvent se cumuler- des acheteurs de vêtements d'occasion sont diverses. Aux préoccupations environnementales et sociétales actuelles, s'ajoutent celles, originelles, d'ordre pécuniaire, mais aussi, le désir de trouver des pièces de créateurs originales…
De plus en plus prégnante, la tendance n'a pas échappé aux enseignes et aux marques, haut de gamme et grand public. Depuis deux ans environ, nombre d'entre elles ont commencé à proposer des services de reprise de leurs propres vêtements, et, dans certains cas, leur revente, ou alors à ouvrir des plateformes de vente de produits de seconde main, quelle qu'en soit la provenance. C'est notamment le cas de la Redoute. Depuis décembre 2020, elle propose le service Reboucle, site de revente entre particuliers, notamment consacré aux vêtements, qu'ils aient été achetés dans l'enseigne ou pas. Des chaînes comme Promod et Kiabi ont mis en place des dispositifs, Dressing'Bis ou corner « seconde main » . Plus haut de gamme, Ba&sh propose depuis 2020 un service, Resell. Il permet aux acheteurs de la marque de revendre leurs vêtements sur différentes plateformes en ligne. Quant à Balzac Paris, une marque de prêt-à-porter écoresponsable, milieu de gamme, elle a lancé en 2020 une plateforme « Créer pour Durer » : ses clientes peuvent y envoyer leurs anciennes pièces, contre un bon d’achat à utiliser sur le site.
Une pratique née dans l'économie sociale et solidaire
Si, depuis peu, ces initiatives se multiplient, la pratique de l'achat et revente de vêtements d'occasion est née dans l'économie sociale et solidaire, comme souvent précurseur dans les tendances sociétales. Des acteurs comme Emmaüs ou le Secours Populaire ont en effet investi cette démarche depuis longtemps. Cela fait plus d'un demi-siècle que les communautés d' Emmaüs ont développé des lieux de vente de produits qui leur sont donnés – vêtements compris – avec un double effet bénéfique : donner du travail aux personnes victimes d’exclusion ou de pauvreté, dans une logique de réinsertion et proposer des objets à petits prix à ceux qui en ont besoin. Le marché du vêtement d'occasion s'est ensuite développé dans une logique marchande, dans les années 1990, avec des dépôts-ventes et friperies. Des chaînes comme Kilo Shop, Episode ou Guerrisol se sont développées.
Puis, une trentaine d'années plus tard, un double phénomène a vu le jour. Sous l'effet d'une prise de conscience écologique des consommateurs, les boutiques comme celle d'Emmaüs sont devenues ‘tendances’, attirant une nouvelle clientèle. Et aussi, phénomène majeur, les applications qui permettent la vente et l’achat en ligne de vêtements d’occasion entre particuliers ont vu le jour et connu un essor foudroyant. Une offre s'est créée sur les différents types de marché (produits peu coûteux, de luxe…). La pionnière de ces applications, Vinted, née en 2008, est aujourd'hui déclinée dans une douzaine de pays, et compte quelque 30 millions de membres. Lesquels achètent et vendent des produits, souvent pour quelques euros. Ce n'est pas le cas des 10 millions de membres de Vestiaire Collective. Eux achètent et vendent des vêtements plutôt haut de gamme et vintage ( Dior, Celine, Vuitton...) … Et les places de marché généralistes, dont Ebay, Leboncoin ou Cdiscount, proposent également des vêtements.
3 950 euros la veste camionneur
Résultat, le marché de la seconde main pesait déjà 1 milliards d'euros en 2018, en France, d'après une étude de l'IFM, l'Institut français de la Mode ( 2019). Lequel prévoit une évolution à la hausse, portée par les préoccupations environnementales des nouvelles générations qui regardent avec méfiance une industrie de la mode très polluante. Cette évolution a aussi donné naissance à une nouvelle pratique : l'upcycling. Il s'agit de redonner vie à des tissus ou des vêtements, en les personnalisant ou en les modifiant. Certains consommateurs le pratiquent à la maison, ouvrant de nouvelles perspectives à des entreprises comme Singer, la marque de machines à coudre. Cet été, elle a lancé le projet « reinvinted with Singer ». La marque rachète des vêtements de seconde main invendus, les confie à des influenceurs comme rosabonheur et tiboudnez, qui les customisent, au cours d'ateliers « do it yourself ». Le résultat constitue une collection dont les pièces sont vendues aux enchères. Et les bénéfices récoltés sont reversés à l'association « La Refile », qui réalise de la prévention et gestion de déchets textiles.
Mais la pratique de l'upcycling a également été adoptée par plusieurs créateurs de mode. Parmi eux, Miuccia Prada (de la famille Prada) à l'origine de la marque Miu Miu. Elle a conçu une collection « Upcycled by Miu Miu », réalisée avec Levi’s®. Le principe ? Suivre « une idéologie durable et donner une nouvelle vie à des pièces en denim déjà portées », récite le site Internet : la veste camionneur Levis X Miu Miu, personnalisée avec du strass, coûte 3 950 euros. Elle est en rupture de stock... « L'upcycling, ou “surcyclage” en français, est en passe de devenir l’une des tendances de la saison printemps-été 2021 », estime le magazine Vogue de cet été. Il explique que la pandémie a obligé les stylistes à utiliser les textiles et matières dont ils disposaient déjà en abondance, la crise ayant occasionné des excédents de stocks issus des collections printemps-été 2020, d’une valeur estimée entre 140 et 160 milliards d’euros...