Le marché foncier rural en baisse sensible
Fini la vogue des maisons à la campagne ! Le marché des terres et prés est redevenu premier en nombre de transactions. Mais le marché sociétaire se développe dévoilent les Safer.
En baisse : telle est la tendance des marchés fonciers ruraux, en 2023, d'après le réseau des Safer, Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural. Ces dernières, dont la mission consiste à contribuer à l'aménagement durable de l'espace rural, sont notamment chargées d'assurer la transparence du marché et d'alerter les pouvoirs publics. Le 22 mai, à Paris, elles présentaient leur étude annuelle d’« Analyse des marchés fonciers ruraux ».
Au total, 330 000 transactions concernant des exploitations ont été enregistrées, soit 11,6% de moins qu'en 2022, pour 697 000 hectares (- 8,7%) et 36,5 milliards d'euros (-21%). Au delà de cette tendance globale, les différents segments ont connu des évolutions variées. Celui des terres et prés représente 32% des transactions, 65% des surfaces et 20% de la valeur. « Pour la première fois depuis 2017, ce marché est repassé premier en nombre de transactions par rapport à celui des maisons à la campagne », note Loïc Jegouzo, responsable du service études de la Fédération nationale des Safer.
Le volume des transactions n'en a pas moins diminué ( -1,5%) et les hausses des prix (+1,5% pour les terres et prés non bâtis qui atteignent 6 200 euros/ha) sont restées très en deçà de l'inflation. Mais avec des variations importantes : dans les zones de grandes cultures, dans le bassin parisien, par exemple, la hausse des prix a été beaucoup plus importante, stimulée par les envolées des cours des céréales qui ont succédé à l'invasion russe en Ukraine : ils ont augmenté de 4,8% pour atteindre 7 710 euros/ha quand ceux des terres consacrées à l'élevage bovin baissaient de 0,3% à 4 630 euros/ha.
Autre constat, le segment des vignes connaît une évolution qui lui est spécifique. « Il s'agit d'un marché à deux vitesses qui combine secteurs en crise et ventes exceptionnelles », explique Loïc Jegouzo. En 2023, il a concentré 8 700 transactions (- 7,6%), concernant 16 000 ha (- 12,8%), pour un total de 1,17 milliard d'euros. Certaines zones ont été touchées par « la désaffection des consommateurs pour le vin rouge », poursuit l’expert. C'est par exemple le cas dans le Bordelais, les Côtes du Rhône ou aussi la Provence, ce qui n'empêche pas des ventes exceptionnelles de châteaux dans ces bassins. Cas particulier, les ventes de vignes à eaux de vie AOP (cognac, armagnac) ont subi une baisse des prix record : -6,4%. En cause : « les exportations ont connu une brusque baisse car des pays importateurs importants, comme la Chine et les USA, ont diminué leurs commandes au moment où les conditions climatiques étaient favorables à la production », précise Loïc Jegouzo.
Parmi les autres marchés scrutés par les Safer figure aussi celui des forêts qui a connu un tassement en 2023. Il a enregistré 21 670 transactions (-0,8%), pour un total de 141 900 ha (-8,5%) et 1,98 milliard d'euros ( - 14,3%). En particulier, « les ventes de grands massifs, de plus de 100 ha retombent », précise Loïc Jegouzo. Elles représentent près du quart des transactions. Autre recul, celui des biens forestiers vendus avec bâti. « Cela correspond à la dynamique des ventes de maison à la campagne », poursuit-il. Ce dernier marché « décroche » carrément : - 24,2% de transactions ( 90 750) , -27,5% de surface vendue ( 47 200 ha) et -27% de montants ( 21,97 milliards) et – 4,1% sur le prix ( 202 000 euros, le lot) . Le repli amorcé l'an dernier se confirme.
Clarté sur le marché sociétaire
L'étude de la FnSafer porte également sur plusieurs phénomènes potentiellement inquiétants du point de vue de la préservation de l'espace rural et d'un modèle agricole familial. C'est en particulier le cas du marché dit « sociétaire », celui des ventes de parts de sociétés. Il concerne des sociétés exploitantes ou possédant des biens immobiliers à vocation agricole.
L'enjeu est de taille : ce type d'exploitations prend de plus en plus de place dans le monde agricole, selon le recensement réalisé par le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Entre 2010 et 2020, leur part a fortement augmenté. Elles représentent à présent 42% des entreprises agricoles, contre 58% sous forme individuelle en forte diminution (-11 points) depuis 2010. En 2023, sur ce marché sociétaire, environ 8 280 déclarations de cessions de parts ont été enregistrées pour un montant de 1,85 milliard d'euros émanant de 7 220 sociétés (qui cumulent 923 300 ha). Un tiers environ de ces transactions concernent les grandes cultures, un autre tiers, les terres d'élevage, les autres se répartissant entre polyculture, polyélevage ( 16%), vignes (11%) et cultures spécialisées (6%).
Autre constat de l'étude, près des deux tiers des cessions de parts ont lieu entre membres d'une même famille. Celles en faveur d'un tiers sans lien de parenté, 31 %. Mais les premières représentent 37% de la valeur, et les secondes 55%. Un dispositif nouveau est à l'origine de cette étude : début 2023, la loi Sempastous qui accroît les exigences de transparence sur ce type d'acteurs et transactions est entrée en application. Partant, « en 2022, le marché a connu une accélération en prévision de l'arrivée de ces nouvelles règles », observe Loïc Jegouzo.
Tendance positive, en revanche, « en 2023, sur le marché de l'urbanisation, le ralentissement s'est plus que confirmé », se réjouit l’expert. Le nombre de transactions a diminué de 31,3% pour atteindre 17 550 et 2,68 milliards d'euros (-29%). Toutes les catégories d'acheteurs ont diminué leurs achats, à commencer par les particuliers (lesquels représentent encore le quart des transactions). L'objectif d'atteindre le Zéro artificialisation nette (Zan) en 2050, posé par la loi Climat et résilience (2021), est-il à l'origine de cette évolution ? « C'est plutôt le résultat du ralentissement économique et du durcissement des conditions de crédit pour les ménages », estime Loïc Jegouzo.
Par ailleurs, un autre phénomène inquiète les Safer : une « consommation masquée», « l'achat de terres agricoles dont l'usage est détourné après la vente ». Par exemple, une famille qui agrandit un peu son terrain pour un usage de loisirs, alors que sur le papier, l'usage déclaré reste agricole. Ces achats, en augmentation, concernent 17 000 ha en 2023. Ils sont souvent le fait de lots de petite taille ( moins de 1 ha) mais n'en constituent pas moins un phénomène inquiétant, car ils rognent de manière imperceptible les terres agricoles.