Entreprises
Les artisans alertent sur l'apprentissage
La diminution des niveaux de prise en charge, dits « coût contrat », perçus par les CFA, inquiète la Chambre des métiers et de l'artisanat. Disparition de formations à des métiers « rares », fermeture de centres en milieu rural... La CMA a dressé un tableau très sombre des conséquences possibles de la mesure.
« Alerte rouge ». Joël Fourny, président de la CMA, Chambre des métiers et de l'artisanat a enfoncé le clou, le 31 août, lors de sa conférence de presse de rentrée, à Paris. Le danger ? « L'apprentissage est en péril », prévient Joël Fourny. En cause, la réduction de 5% en moyenne des NPEC, Niveau moyen de prise en charge, ce « coût contrat » perçu par les CFA, Centres de formation d'apprentis, pour chaque alternant. La décision - entrée en vigueur le lendemain de la conférence de presse- a été prise, cet été, par France Compétences, instance de régulation de la formation professionnelle.
L'instance, très fortement déficitaire, escompte une économie de 540 millions d’euros. « L'apprentissage n'est pas une dépense, c'est un investissement sur l'avenir (…). Il s'agit d'une décision injuste, incompréhensible, inacceptable », objecte Joël Fourny. Au total, la CMA gère 137 CFA dans lesquels 112 500 apprentis ont été formés en 2022. Avec les nouveaux tarifs, « très concrètement, des CFA seraient menacés, car ils deviendraient déficitaires », prévient Julien Gondard, directeur général de CMA France. D'après les évaluations de celle-ci, 57% des formations (niveau CAP) seraient déficitaires (soit 55% des effectifs). Ce serait, par exemple, le cas de celle de boulanger dont la marge passerait de + 9,39% à -0,68% . Celle de la formation charcutier-traiteur passerait de 5,03% à -4,31%. Au global, pour 2022, la CMA indique un taux de marge global de 9% environ. «Cette marge nous sert, par exemple, à investir dans des plateaux techniques, à assurer les formations aux métiers d'art... », explique Julien Gondard. Il rappelle que le réseau des CFA géré par la CMA est structuré de manière à répondre aux objectifs de « former à tous les métiers dont les entreprises ont besoin », qu'ils soient en tension ou rares, et ce, sur l'ensemble du territoire. « Si les formations à grande cohorte deviennent déficitaires, nous sommes clairement dans une situation où nous ne pourrons plus jouer le rôle de formateur sur tous les territoires et pour tous les métiers », insiste Julien Gondard.
Disparition des facteurs d'orgues ? Des tonneliers ?
Pour la CMA, la remise en cause du soutien apporté au développement de l'apprentissage hypothèque l'avenir de l'artisanat. A moyen terme, elle pourrait causer la disparition de certains métiers et accentuer les difficultés de reprise des 300 000 entreprises artisanales qui devraient changer de main dans les cinq ans à venir. Mais les difficultés sont déjà là, ont témoigné plusieurs représentants de CMA locales, lors de la conférence de presse. Dans le Grand Est, la formation au facteur d'orgues (artisan spécialisé dans la fabrication et l’entretien d’orgues complètes) ne compte que huit stagiaires par session. Fermer cette formation déficitaire reviendrait à mettre en péril un patrimoine précieux... En Nouvelle- Aquitaine, c'est la formation à la tonnellerie qui est menacée de disparition, alors que la profession est indispensable à l'économie du cognac, par exemple. La rénovation du centre nécessite 5 millions d'euros... Autant de formations à faibles effectifs qui sont menacées. Et les conséquences de la baisse des NPEC pourraient aussi être territoriales. « Cela reviendra à fermer les centres les plus éloignés des villes, alors qu'il faut être présents aussi en milieu rural pour être au plus proche des besoins des entreprises dans les territoires. De plus, n'être présents que dans les villes posera un problème d'accès à la formation pour les jeunes qui en sont éloignés », pointe Julien Gondard.
La baisse du financement fait aussi peser un risque sur la qualité des approches pédagogiques, ajoute Joël Fourny : « nous allons revenir trente ans en arrière avec la ficelle de gigot sur un morceau de bois ». Pour la CMA, l'approche de France compétences n'est pas la bonne. « Nous demandons à sortir de la logique arithmétique pour adopter une approche stratégique du financement de la formation », avance Julien Gondard. La CMA demande un report de l'entrée en application de la baisse et la tenue d'une véritable concertation sur le sujet.
Inquiétude généralisée
Les artisans sont loin d'être les seuls à s'opposer à cette réduction du financement. En juillet, au conseil d'administration de France Compétences, ce sont les représentants de l’État, majoritaires, qui ont pris cette décision, contre l'avis des représentants des partenaires sociaux et de ceux des régions, d'après AEF Info. A l'origine, plusieurs rapports publics ont critiqué le financement de l'alternance. Par exemple, en juin 2022, un rapport de la Cour des Comptes avait pointé un écart d'environ 20% entre les charges des CFA et le niveau moyen de prise en charge. Mais dans l'artisanat, les formateurs ne se sont pas « gavés », conteste Julien Gondard.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle n'est pas de nature à améliorer le moral des artisans, peu brillant en cette rentrée. La deuxième édition du baromètre sur l'état d'esprit des chefs d'entreprises artisanales de la CMA enregistre, en effet, une inquiétude généralisée. 63% des artisans se préoccupent du contexte économique, contre 45% il y a un an. Et 10 points de moins indiquent avoir un état d'esprit « positif et combatif ». Concernant le devenir de leur propre activité dans les six prochains mois, 53% d'entre eux expriment leur inquiétude. Concrètement, parmi les difficultés qu'ils rencontrent, la hausse des prix des matières premières, qui concerne 27% des artisans, la baisse de leur carnet de commandes (16%), une nouveauté par rapport à l'an dernier, et la hausse des coûts de l'énergie (15%). Difficultés de trésorerie (12%) , complexité administrative ( 10%) et problèmes de recrutement (8%) suivent. Globalement, près de la moitié (48%) des artisans estiment que leur situation s'est dégradée en 2023, par rapport à l'année précédente. Fruit de cet état d'esprit inquiet, les artisans souhaitent avant tout préserver leur entreprise, en sécurisant l'activité et en stabilisant la trésorerie.
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