Trois questions à Clément Scellier, cofondateur de Jimini's, qui propose des produits alimentaires à base d'insectes
« Les insectes sont mangés dans les deux-tiers de la planète »
Pour introduire les protéines d'insectes dans l'alimentation des Français, Jimini's misait sur les apéros. La crise oblige la start-up à faire le dos rond. Mais ses fondateurs conservent leurs toutes leurs ambitions : de plus en plus, les enjeux environnementaux s'imposent aussi dans l'assiette.
Proposer aux consommateurs des produits à base d'insectes... une drôle d'idée ?
Aujourd'hui, les insectes sont mangés dans les deux-tiers de la planète. Avec Bastien Rabastens, mon associé, nous avons eu l'idée de créer Jimini's en 2012, après avoir pris connaissance d'un rapport de la FAO, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations Unies : il explique qu'en 2050, nous serons neuf milliards d'êtres humains. Sur la base de ce constat, le rapport préconise d'intégrer les protéines d'insectes dans l'alimentation, afin d'en réduire l'impact environnemental. C'est ce que nous avons voulu faire, de manière gourmande et ludique. Nous avons commencé par proposer grillons, criquets et molitors pour l'apéro. C'est un moment propice, décontracté et ludique : on y partage des mets et des boissons avec ses amis. Or, la découverte alimentaire est facilitée par le partage. De plus, il s'agit d'un marché sensible à l'innovation dans les saveurs, les goûts, et parfois, aussi, à l'innovation de rupture, comme la nôtre. Par la suite, nous avons développé d'autres produits à base d'insectes, barres protéinées, granolas et pâtes.
En dix ans, les mentalités ont-elles évolué ?
Oui. En particulier, les jeunes générations sont plus ouvertes à l'idée de manger des insectes. Et depuis quelques années, les Français savent qu'ils sont comestibles et les assimilent aux protéines et à l'environnement. Ce n'était pas du tout le cas lorsque nous avons commencé. La première banque à laquelle nous nous étions adressés nous a expliqué qu'elle ne souhaitait pas voir son image associée à des insectes ! Certains avait des réactions comme « Ne touche pas à mon steak ! ». Pourtant, nous ne sommes pas du tout des militants extrémistes... Ces années, nous avons fait beaucoup d'actions de pédagogie auprès de différents publics. Nous avons organisé une dégustation à l'Assemblée Nationale, à la mairie de Paris. Nous avons aussi mené des opérations auprès du grand public, et notamment des enfants, en participant à des événements à la Cité des Sciences, dans des collèges et des lycées. Plus globalement, aujourd'hui, on assiste à une véritable prise de conscience de l'impact environnemental de notre alimentation, ce qui n'était pas le cas il y a cinq ans.
Comment traversez-vous la crise ?
Nous avons fortement été impactés : nous sommes passés d'une vingtaine à une dizaine de salariés. On n'a plus le droit de faire des apéros, ni du sport, alors que nous vendions aussi nos barres protéinées dans des salles de sport. L'export, qui représentait environ la moitié de notre activité, a été touché aussi. Nous étions aussi distribués chez Carrefour en Espagne, mais avec la crise, la GMS [grande et moyenne surface] s'est concentrée sur les produits de base. Pour nous en sortir, nous avons développé l'activité de sous-traitance de produits, comme des granolas, sans insectes, que nous menions déjà, pour des clients moins impactés par la crise. Nous pouvons ainsi maintenir un chiffre d'affaires existant. Et les dispositifs de l’État ont été utiles, notamment le chômage partiel. Il permet de maintenir une équipe et apporte de la souplesse, dans un contexte qui désorganise les chaînes logistiques. Mais au delà de la baisse du chiffre d'affaires, la vraie difficulté, c'est de n'avoir aucune idée de quand l'activité va redémarrer. Pour autant, j'estime que nous nous en sortons plutôt bien. Nous continuerons à être présents, avec de nouveaux produits sur lesquels nous sommes en train de travailler...