Entreprises
Les professionnels du vin s'inquiètent
Spectre du retour des barrières douanières trumpiennes, décalage avec les attentes d'une société où s'imposent des impératifs de santé publique... Les professionnels du vin se montrent inquiets, lors d'une table-ronde organisée par Vinexposium, organisateur de Wine Paris
Les professionnels du vin ont plusieurs raisons de s'inquiéter. Le 27 novembre, à Paris, Vinexposium, organisateur de Wine Paris, rendez-vous annuel des professionnels du vin et des spiritueux (en février 2025), organisait une conférence de presse sur l'actualité du secteur. Ce dernier, qui réalise la moitié de son chiffre d'affaires à l'export – essentiellement hors d'Europe- pâtit d'une évolution globale négative : au premier semestre 2024, les volumes mondiaux de boissons alcoolisées ont diminué de 1,1% (source : IWSR 2024). « L'inflation a une incidence extrêmement forte sur la consommation de vin », commente Rodolphe Lameyse directeur général de Vinexposium. En Chine, les achats de boissons alcoolisées ont baissé de 5,4% sur la période. Aux États Unis, de 2,7% pour les spiritueux et de 3,5% pour les bières. Une chute que les marchés dynamiques comme l'Inde ne compensent pas.
« Avec le Bordeaux, d'habitude, on a toujours une petite partie du monde qui rattrapait l'autre. Ce n'est plus le cas », témoigne Philippe Tapie, président de Bordeaux Négoce et président de Haut Médoc Sélection.
Pour l'avenir, la profession redoute les effets de la tendance mondiale généralisée au « repli sur soi » des nations. Et surtout, la perspective du relèvement des barrières douanières aux USA avec le retour de Donald Trump à la tête du pays. En 2019, il avait imposé des taxes de l'ordre de 25%, faisant chuter les exportations de vins français de 40%, avec un coût de 500 millions d'euros pour la profession, selon la FEVS, Fédération des exportateurs de vins et spiritueux. A l'époque, « nous avions essayé d'anticiper et nous avons sur-vendu. Cela s'est révélé coûteux pour les importateurs. Cette fois-ci, il n'y a pas accélération des commandes», constate Philippe Tapie. Les perspectives sont sombres, mais tout dépend aussi du niveau des taxes. « Si le taux est de 10%, on peut discuter. S'il est de 40%, on ne discute plus », poursuit Philippe Tapie. Avec un taux à 10%, « cela dépendra de la situation des sociétés, si elles peuvent se permettre de perdre de la marge pour conserver le marché », décrypte Gabriel Picard, Président de la FEVS. Mais le problème, selon ces professionnels, réside dans le fait que leurs marges ont déjà été entamées par des hausses de prix de l'énergie et du verre, difficiles, voire, impossibles à répercuter, ainsi que par l'intensité des efforts commerciaux qu'ils ont du réaliser pour conserver un niveau de ventes stable.
Une société sans vin ?
En plus du retour de Trump, les viticulteurs ont un autre sujet d'inquiétude majeur : assiste-t-on à un désintérêt, voire, à un rejet du vin et des alcools, qui ne seraient plus en adéquation avec les pratiques et les attentes de la société ? Plusieurs signes pourraient l'indiquer, témoignent ces professionnels. Par exemple, la déstructuration des repas, la disparition du repas de famille du dimanche midi, ou encore, la baisse de la consommation de viande rouge et de fromage engendrent une diminution de la demande de vin rouge.
Et un phénomène nouveau questionne la profession : l'engouement pour des produits comme les vins sans alcool. En 2024, cette catégorie a enregistré une croissance de 14% par rapport à 2023. La tendance qui ne représente pour l'instant qu'une niche est particulièrement marquée en Allemagne et en France, par exemple. Simple phénomène de mode ? « L'avenir le dira », répond Rodolphe Lameyse. En fait, « cela fait des siècles qu'il y a des modes dans le vin », pointe Lionel , président de l’AVS, Association des vignobles septentrionaux. « Aujourd'hui, ceux de Loire, qui se boivent jeunes, qui sont sur la fraîcheur, sont en adéquation avec ce qu'attendent les consommateurs ». Du coté du Bordeaux, « Nous voulons nous mettre en connexion avec le consommateur. (…) Nous avons une réflexion sur le goût. Faut-il aller vers un Bordeaux qui se boit jeune ? Nous avons beaucoup évolué dans nos techniques de vinification et nous essayons de donner une image plus ouverte, contemporaine du vin », explique Philippe Tapie.
Les différentes appellations peuvent connaître des fortunes diverses selon les modes, mais elles partagent toutes une même préoccupation : Vinexposium identifie une baisse de la consommation chez les jeunes générations, motivée par des raisons d'hygiène de vie. A ce titre, si les professionnels du vin reconnaissent une nécessaire culture et éducation à leur produit , ils déplorent des messages de santé publique qui vont dans le sens de l'éviction totale de la molécule d'éthanol.