Les salariés dans un état de détresse psychologique toujours préoccupant

Les résultats du 13ème baromètre sur l’ «État de santé psychologique des salariés français » du cabinet Empreinte Humaine font état d’un lien fort entre travail et détresse psychologique et d’une stabilisation de la santé psychologique des salariés qui reste néanmoins dégradée. Bonne nouvelle, les actions en termes de prévention progressent, notamment dans les grandes entreprises.

© Adobe Stock.
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Encore 15% des salarié sont en détresse psychologique élevée (-2 points par rapport à octobre 2023). Ce pourcentage atteint 42% (-6 pts) si l’on considère toutes les personnes en situation de détresse psychologique (modérée et élevée). Huit salariés sur dix signalent que leurs problèmes de santé sont liés partiellement ou totalement au travail*. Le taux de burn-out, bien que stable, concerne encore 30% des salariés, dont un sur 10 qui est en risque de burn-out sévère. « On observe une évolution légère de la question de la santé mentale des salariés mais elle reste à des niveaux préoccupants en matière de dégradation », notamment chez les jeunes de 18 à 29 ans (28%) et les télétravailleurs à 100% (26%), signale Christophe Nguyen, président fondateur du cabinet Empreinte Humaine, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux au travail.

Seul signal positif, les quelques résultats encourageants en matière de pratiques de prévention. « Salariés et managers ont pris conscience de l’importance de traiter le sujet » avec deux tiers d’entre eux qui s’en préoccupent. D’autre part, sept à huit salariés sur dix se disent capables de détecter des signaux de détresse pour accompagner leurs collègues et se sentent compétents pour soutenir un collègue en difficulté. « Ces résultats montrent que des actions sont mises en place pour les salariés et les managers qui se sentent plus outillés pour réagir en cas de détection de situation de détresse psychologique ou pour être plus attentifs et mettre des mesures à leurs échelles. Sur le terrain, on voit une vraie évolution positive du point de vue de la relation avec les managers de proximité. ». Si Christophe Nguyen s’en réjouit, il estime néanmoins que cela n’est « pas suffisant. Il faut mettre des ressources et des dispositifs à leur disposition, voir ce qui marche bien et le généraliser », prévient-il.

Les salariés des grandes entreprises mieux protégés

Les TPE, PME et ETI peuvent prendre exemple sur les grandes entreprises qui ont mis en place des moyens pour améliorer la santé mentale de leurs salariés et obtiennent de meilleurs résultats. Ainsi, elles ont en moyenne 10 points de moins de taux de détresse psychologique que la moyenne (32% de détresse psychologique dans les grandes entreprises de plus de 5 000 personnes, contre 49% dans les TPE ou 53% dans les ETI). Dotées de plus de ressources et soumises à davantage d’obligations légales en matière de protection de la santé de leurs salariés, elles sont généralement plus structurées que les autres en la matière. « Cela prouve que si l’on met des moyens cela fonctionne », commente Christophe Nguyen. L’étude montre ainsi que lorsque des mesures de prévention sont mises en place dans les entreprises, les salariés ont 1,4 à deux fois moins de problèmes de santé mentale.

Parmi les dispositifs de prévention de santé et sécurité psychologique au travail, le droit à la déconnexion est réellement appliqué (pas de réunions tardives, pas de mail où « je dois répondre en dehors de mes horaires de travail ») pour 54% des répondants. « La moitié des salariés déclarent que le droit à la déconnexion est réellement appliqué. Cette mesure de prévention, assez connue et emblématique contre l’épuisement professionnel, doit encore être discutée dans les organisations pour s’assurer de son applicabilité et pour éviter un affichage de façade ». Autres dispositifs mis en place, le recadrage, voire les sanctions envers les managers toxiques est appliqué pour 56% des sondés ; des formations sur la prévention des risques psychosociaux et la qualité de vie au travail sont organisées (47%) ; les objectifs sont réévalués en fonction du stress et des risques psychosociaux (46%) et les collaborateurs sont consultés sur le sujet (43%).

« Rendre le travail durable et supportable »

Néanmoins, le président d’Empreinte Humaine déplore qu’il n’y ait pas suffisamment d’actions entreprises sur l’organisation et les conditions de travail, et notamment sur la charge de travail qui n’est pas évaluée, ni mesurée ou suivie. « C’est là où se trouve le plus gros chantier : la charge de travail, les outils de travail, la reconnaissance, l’accompagnement du changement, les injonctions contradictoires…, liste-t-il. Il faut prendre en compte les besoins, dialoguer et faire participer les salariés sur la conception du travail de façon positive, construite et réaliste pour rendre le travail plus durable et supportable. S’il y a surcharge de travail, des problèmes d’équité ou d’irrespect, il faut les traiter ».

Beaucoup d’entraves et de conditions de travail dégradées expliquent le désengagement et la détresse des salariés : que ce soit des outils de travail non adaptés ou qui ne fonctionnent pas bien, le fait que les salariés ne puissent pas refuser des tâches, alors qu’ils sont déjà débordés, un manque de retour sur leur travail ou de reconnaissance, être contraints de travailler ou de réaliser un travail d’une façon qui heurte leur conscience, un sentiment d’inutilité, la peur des reproches ou du blâme en cas d’erreur. Ou encore, devoir faire de la « quantité » au détriment de la « qualité » du travail... Résultat, « on prédit que l’absentéisme risque d’atteindre des niveaux importants, avec une diminution de l’absentéisme court, tandis que des difficultés de rétention, un désengagement ou un absentéisme long, notamment pour des motifs psychologiques, risquent de se maintenir à des niveaux records à cause d’un manque d’actions de fond », met en garde Christophe Nguyen.

*Baromètre réalisé du 23 mai au 4 juin 2024, en partenariat avec Opinion Way pour Empreinte Humaine, auprès d’un échantillon de 2 000 salariés français.

Charlotte DE SAINTIGNON