Mesurer la croissance à l’aune de ses impacts sur le climat et les inégalités de revenus
Pour aller « au-delà du PIB », l’Insee a créé de nouveaux indicateurs afin de mieux évaluer les performances de l’économie française en prenant en compte certaines dimensions sociales et environnementales.
Un PIB « augmenté ». C’est ce que propose l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) avec l’introduction de nouveaux indicateurs dans la comptabilité nationale. Il ne s’agit pas de remplacer le produit intérieur brut (PIB), qui reste la référence, mais de le compléter en prenant en compte l’impact de la croissance économique sur l’environnement, d’une part, et sur la répartition des revenus entre les Français, d’autre part. Deux sujets qui occupent aujourd’hui une place très importante dans le débat public.
Une réflexion globale sur la comptabilité nationale
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement que l’on peut observer dans d’autres pays « pour réviser un peu la comptabilité nationale en prenant davantage en compte le bien être », a expliqué le directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, lors de la présentation de ces nouveaux indicateurs à la presse, début novembre. « En France, on a choisi de prendre en compte les questions climatiques et la répartition des revenus. » Mais « on y va prudemment, c’est une contribution au débat », a-t-il ajouté, en soulignant les difficultés de l’exercice, notamment en ce qui concerne la monétisation des dommages à l’environnement ou l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre (GES) produits en France ou importés. Ainsi, pour valoriser les coûts associés, en 2023, l’Institut utilise un coût social du carbone de 172 euros par tonne et une valeur d’action pour le climat (correspondant à la valeur d’évitement de la production d’une tonne de carbone) de 154 euros par tonne.
Croissance et gaz à effet de serre : les nouveaux comptes « carbone »
Le PIB ne prend pas en compte « les coûts implicites liés aux GES : les dommages futurs et les coûts de décarbonation », a rappelé Nicolas Carnot, directeur des études et synthèses économiques de l’Insee. Pour compléter le PIB en intégrant « la consommation du capital climat » qu’engendre la croissance économique, l’Institut de statistique propose deux nouveaux indicateurs « ajustés » : le Produit intérieur net ajusté et l’épargne nette ajustée. En 2023, le Produit intérieur net était de 2 294 milliards d’euros. En déduisant les coûts liés aux GES, on obtient un Produit intérieur net ajusté de 2 200 milliards d’euros. En 2023, l’épargne nette était de 68 milliards d’euros. Après déduction des coûts, on obtient une épargne nette ajustée négative, de - 133 milliards d’euros, ce qui signifie que « on laisse moins aux générations futures que ce que dont on disposait ». L’Insee a également conçu d’autres indicateurs « carbone », pour évaluer les coûts de décarbonation dans le futur, par exemple.
Mieux mesurer les effets de la redistribution sur les inégalités de revenus
L’autre axe de travail : l’impact de la redistribution « élargie » sur la répartition du revenu national entre les ménages en affinant les statistiques existantes. La nouvelle méthode de calcul intègre notamment l’impact des services publics (qui sont autant de transferts non monétaires) sur les revenus et le niveau de vie des ménages, en sus des prestations sociales monétaires et des prélèvements (taxes et impôts). Et il en ressort que « la redistribution conduit à réduire massivement les inégalités », a déclaré Sébastien Roux, directeur du programme des comptes nationaux augmentés de l’Insee.
Alors que les 10% les plus aisées disposent d’un revenu primaire « élargi » 24 fois plus élevé que les 10% les plus modestes, ce ratio n’est plus que de 3,8 pour le niveau de vie après l’application des mécanismes de redistribution en 2023. Quant au niveau de vie des ménages du milieu de l’échelle de revenus, il augmente de 16% grâce à la redistribution des revenus. Au final, 57% des ménages sont bénéficiaires net de la redistribution des revenus. Un résultat qui va à l’encontre du « ressenti » exprimé par un grand nombre de Français, qui ont « le sentiment de contribuer plus au système qu’ils n’en sont bénéficiaires ».
Le résultat de ces travaux, indicateurs et comptes nationaux « augmentés » pour les années 2018 à 2023, est accessible sur le site de l’Insee. Ils seront désormais publiés sur une base annuelle.
L’empreinte carbone de la France continuer de diminuer
Les statistiques de l’Insee montrent que la réduction des émissions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote, etc.) se poursuit en France, malgré la croissance économique. Les émissions « résidentes », liées à la production intérieure et aux émissions directes des ménages, ont ainsi enregistré une baisse de 31% depuis 1991 (-5,6% en 2023, par rapport à 2022). De même, l’empreinte carbone de la France, qui englobe les émissions résidentes et celles liées à la production des produits importés (sachant que ce qui est produit à l’étranger est plus carboné que ce qui est produit avec l’énergie nucléaire dans l’Hexagone), a diminué de 4,3% en 2023, par rapport à 2022.