Economie
Mode : le « fabriqué en France », entre espoirs et écueils
Les vêtements Made in France ne représentent que 3,3% des volumes achetés en France. Mais les professionnels du secteur estiment que les enjeux environnementaux pourraient booster la filière.
A s'en tenir aux déclarations d'amour des Français, les vêtements MIF, Made in France, ont le vent en poupe. La réalité s'avère beaucoup plus complexe a montré une table ronde qui dressait un « État des lieux du ‘ fabriqué en France’ », le 27 mars, dans le cadre du salon « Made in France Première vision », consacré à la fabrication de la filière mode, à Paris. Environ le tiers des Français achètent des vêtements MIF et les trois quarts d'entre eux s'y intéressent « une proportion qui reste stable depuis le début des années 1990 », expose Franck Lehuédé, directeur d'études et de recherche au Crédoc, Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie. « Nous sommes dans du déclaratif », commente Gildas Minvielle, directeur de l'observatoire économique de l'IFM, Institut français de la mode. Pour celui-ci, les vêtements MIF représentent 3,3% des volumes achetés en France ! Face à ce paradoxe, une lecture plus fine des motivations des Français s'impose. Sur le long terme, « il existe un lien entre la mondialisation et ses excès et l'intérêt pour le MIF. Celui-ci suscite un regain d'intérêt lors des crises comme celle des dettes souveraines, la mondialisation étant perçue comme néfaste, en particulier pour l'emploi. Mais quand survient une embellie, les consommateurs se détournent du MIF. Ils souhaitent alors avant tout consommer beaucoup », décrit Franck Lehuédé.
Par ailleurs, dans le contexte d'inflation actuel, « le coût est le frein principal au MIF et de loin », poursuit le chercheur. Mais à cela s'ajoute une autre difficulté : « nous vivons dans une société de méfiance. Les consommateurs sont plus éduqués, ils font attention », ajoute Franck Lehuédé. A ce titre, le MIF, appellation du Code douanier européen qui se réfère au lieu où a été réalisée la dernière opération de transformation du vêtement, peut lui aussi être scruté ou jugé peu crédible. Les professionnels du secteur préfèrent d'ailleurs parler de « fabriqué en France »...
« Pas de relocalisation sans innovation »
L'attitude des consommateurs n'est que l'un des nombreux maillons qui aboutit au faible score de vêtements MIF achetés en France. Chez les distributeurs, « nous voyons beaucoup de jeunes marques françaises qui se tournent vers le MIF et les multi-détaillants ont très envie de les distribuer. Mais vu le niveau de prix du MIF, il leur est difficile de mettre ces produits en solde. Je considère que le développement du MIF est antinomique avec le système actuel de ventes accélérées, avec promotions et soldes trop récurrentes », analyse Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l'Habillement qui regroupe 30 300 boutiques. Quant à Pierre-François Le Louët, coprésident de l'UFIMH Union française des industries Mode et Habillement ( qui pèsent 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires), il pointe la responsabilité des marques. Pour lui, si celles de luxe ont « joué le jeu » en relocalisant, ce n'est pas le cas de celles premium. « Nous savons qu'elles ne fabriquent pas assez en France. (…) Elles ont perdu le savoir-faire industriel, quand, de l'autre coté, des fabricants ont perdu le sens du marché. Il faut remettre un dialogue en place », plaide-t-il.
En outre, pour Pierre-François Le Louët, une modernisation de l'outil de production s'impose. « Il n'y aura pas de relocalisation sans innovation », estime-t-il. Le coprésident de l'UFIMH désigne, en particulier, une direction : celle d'un écosystème qui permette de développer la production à la demande, afin d'optimiser les flux et d'éviter les stocks d'invendus. Cela répond à la fois à des enjeux écologiques et de coût de fabrication du MIF. Pour sa propre marque, Petit Bateau, qui maîtrise l'ensemble de sa chaîne de production (et distribution) a franchi le cap. « Nous produisons très peu en début de saison, puis, nous sommes capables, en fonction des signaux que nous envoie le retail, de produire de nouveau, en une semaine », témoigne Sophie Escario, directrice de Petit Bateau Fabriquant.
La marée environnementale qui monte
Au delà de ces difficultés inhérentes à la filière de la mode et du textile en France, il en est une autre, générale, qui pèse lourd. « Nos trois préoccupations ce sont : la compétitivité, la compétitivité et la compétitivité (…), le coût du travail constitue un vrai problème », pointe Olivier Ducatillion, président de l'UIT, Union des industries textiles, qui regroupe quelque
2 400 entreprises (62 000 salariés). Petit rappel des coûts de la confection d'une chemise : 5 euros en Asie, 15 euros au Portugal et 40 euros minimum en France.
Toutefois, Olivier Ducatillion voit une « raison d'espérer » pour le MIF, dans l'importance grandissante que prend l'empreinte environnementale des produits aux yeux des consommateurs. Le poids de cette empreinte reposant essentiellement sur les matières premières et l'énergie, la mode MIF a sa carte à jouer. En effet, elle peut s'appuyer sur une énergie décarbonée et des matières comme le lin, le chanvre, et (un peu) la laine. « Dans ce cas, l'impact environnemental est divisé par dix (…). Cette motivation environnementale qui s’accroît devrait s'ajouter à celle sociale et soutenir le développement du MIF », estime Olivier Ducatillion. Les analyses du Crédoc vont dans son sens. Les chercheurs constatent que les enjeux environnementaux sont effectivement devenus de plus en plus prégnants sur les comportements de consommation, depuis le milieu des années 2010. Or, le MIF est perçu comme comportant une dimension environnementale. « Les enquêtes nous montrent que le MIF constitue une garantie d'eco-responsabilité pour les consommateurs qui sont méfiants sur ce sujet », complète Gildas Minvielle.
Au niveau politique aussi, ces préoccupations environnementales qui s'imposent pourraient favoriser le MIF. En France, la loi AGEC, anti-gaspillage pour une économie circulaire, va plus loin que le MIF : elle impose à présent aux marques d'indiquer trois pays où se déroulent les opérations de fabrication (sur un site Internet). Et au niveau européen, des textes sont en préparation qui vont impacter la mode,et poser des exigences en matière de développement durable, rappelle Pierre-François Le Louët. Pour lui, cette « marée qui monte » finira par s'imposer aux marques premium et les pousser à la relocalisation.