Nouvelle stratégie de la BCE : évolution ou révolution ?
La Banque centrale européenne (BCE) a décidé d’assouplir son objectif d’inflation et de mieux prendre en compte le coût du logement et les enjeux climatiques. Mais ces réformes semblent bien timorées face à l’ampleur des enjeux…
Depuis le début de l’année 2020, la BCE réfléchissait à sa stratégie de politique monétaire, appelée « revue de stratégie », qui aura suscité de très nombreuses contributions - parfois radicales- de la part du monde académique : proposition d’annulation des dettes publiques détenues par la BCE, monétisation par la BCE des dépenses pour la transition écologique, création de monnaie par la BCE directement versée aux ménages de la zone euro, etc. Mais, alors que cette réflexion devait s’achever en septembre prochain, la nouvelle stratégie de l’institution monétaire a été annoncée dès le début du mois de juillet…
Une nouvelle cible d’inflation
Dans un texte très succinct, la Banque centrale liste les principaux changements à venir, après avoir rappelé que « l’économie de la zone euro et l’économie mondiale ont subi de profonds changements structurels depuis la dernière évaluation stratégique, en 2003 ». Tout d’abord, alors que l’objectif de taux d’inflation était jusqu’à présent « en dessous mais proche de 2 % » à moyen terme, il devient désormais « 2 % à moyen terme ». Subtilité de langage, qui signifie que la BCE pourra temporairement laisser l’inflation dépasser les 2 %, sans mettre immédiatement en œuvre une politique monétaire restrictive consistant, entre autres, à augmenter ses taux d’intérêt directeurs.
Mais, contrairement à la Fed, son homologue américaine, la BCE ne ciblera pas un taux d’inflation moyen de 2 % dans la durée, qui aurait consisté, après une période d’inflation faible, à viser un taux d’inflation modérément supérieur à 2 %, pendant un certain temps. La flexibilité annoncée par la BCE demeure donc assez limitée, mais servira probablement à sauver ce qui lui reste de crédibilité, elle qui ne réussit plus à atteindre sa cible d’inflation depuis longtemps. Mais, surtout, alors que la politique monétaire de la Fed vise également le plein emploi, la Banque centrale européenne prend la précaution de rappeler que « l’objectif principal de la BCE est de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro ». Autrement dit, selon son mandat, la BCE ne peut apporter son concours aux autres objectifs de l’UE (plein emploi, progrès social, protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, etc.) qu’à la condition expresse de ne pas porter préjudice à l’objectif de stabilité des prix.
En dehors de cela, il est question de mieux intégrer, d’ici quelques années, le coût des logements dans l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), qui sert à calculer le taux d’inflation au sein de l’UE. Il s’agit notamment de tenir compte des coûts des logements occupés par leur propriétaire, sur la base des loyers imputés. Il n’est cependant pas certain que cela suffise à mieux cerner la forte augmentation des prix de l’immobilier, partiellement provoquée par la politique monétaire ultra-expansionniste de la BCE elle-même !
Un pâle verdissement de la politique monétaire
Sur la question du verdissement de sa politique monétaire, la BCE se contente, d’une part, d’un constat qui trahit son véritable objectif de stabilité des prix (« Le changement climatique a de profondes conséquences sur la stabilité des prix, en raison de ses effets structurels et conjoncturels sur l’économie et le système financier ») et, d’autre part, d’une vague déclaration de prise en compte de « l’ensemble des facteurs liés au climat dans ses évaluations de la politique monétaire ». Les optimistes y verront néanmoins une évolution favorable, car il y a encore peu la BCE se retranchait derrière un principe de neutralité monétaire pour justifier son absence de prise en compte de critères climatiques…
Le non conventionnel devient conventionnel
Dans un contexte d’euphorie financière qu’elle a elle-même contribué en partie à créer, la BCE prend conscience que « la stabilité financière est une condition préalable à la stabilité des prix ». Dont acte. Mais au-delà des belles déclarations, la Banque centrale se retrouve en fin de compte bien démunie face à une économie en berne, une inflation à la ramasse et des taux d’intérêt qui n’ont plus beaucoup de sens, elle qui ne dispose conventionnellement que des taux directeurs pour mettre en œuvre sa politique monétaire. C’est sans doute pour cela que « reconnaissant l’existence du plancher effectif des taux directeurs, le Conseil des gouverneurs utilisera également les indications sur l’orientation future de la politique monétaire (‘forward guidance’), les achats d’actifs et les opérations de refinancement à plus long terme, le cas échéant ». Autrement dit, la politique monétaire non conventionnelle devient désormais en partie conventionnelle ! C’est dire la profondeur des crises que nous traversons…