Réemploi des emballages : pourquoi ça cale ?
Le réemploi des emballages -aux vertus écologiques reconnues par l'Ademe- peine à décoller. Un tissu de petites entreprises positionnées sur ce qui devait constituer un secteur d'avenir risque de disparaître, faute d'un cadre juridique qui booste la pratique. Des députés et le Collectif Réemploi alertent.
Un véritable désastre écologique. Les Européens n'ont jamais produit autant de déchets d'emballage, selon Eurostat : 188,7 kg par habitant en 2021, soit 32 de plus qu'il y a dix ans. Plus que jamais, la solution du réemploi semble s'imposer. Et pourtant, cela coince... Le 5 octobre, dans une salle de l'Assemblée Nationale, une matinée était consacrée à « Consigne : mode de (ré)emploi ». Charles Fournier, député d'Indre-et-Loire (Les écologistes) et le Collectif Réemploi qui réunit des acteurs de l'économie circulaire étaient à l'origine de la rencontre. Objectif : identifier les freins au déploiement d’un dispositif efficace de consigne du verre et à la pratique du réemploi des emballages en général, élaborer la réponse à apporter. Pour Charles Fournier, elle passe par la loi. La veille de la rencontre, il avait déposé avec d'autres parlementaires une proposition de texte « visant au rehaussement des objectifs de réemploi des emballages et à la généralisation de la consigne du verre ».
Comme le député, les représentants du collectif Réemploi considèrent que le « frein » originel à ces pratiques réside dans un cadre juridique insuffisant, en dépit des textes votés ces dernières années. La loi Agec relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (2020) et la loi Climat et résilience (2021) constituent autant d'« occasions manquées » de faire avancer réellement la cause du réemploi, estime Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer chez Zéro Waste France, association qui lutte contre les déchets.
En juin 2023, Bérengère Couillard, alors secrétaire d’État à l'Écologie, avait suscité l'espoir en annonçant le retour de la consigne pour réemploi du verre « d’ici deux ans » Las, trois mois plus tard, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires évoquait le principe d'une consigne du verre « volontaire », lors des Assises nationales des déchets. Au total, selon le panorama dressé durant la matinée, le cadre juridique concernant le réemploi semble relever de l'esquisse. Certes, il existe un Observatoire du réemploi et de la réutilisation, voulu par la loi de 2021. Mais pour Charlotte Soulary, « le seul objectif qui soutienne l'émergence du réemploi sont ceux posés par la loi Agec qui vise 10% d'emballages réemployés en 2027 ». Mais au delà ? La borne temporelle n'incite pas vraiment à investir dans des infrastructures. Quant aux objectifs fixés pour la fin des emballages en plastique à usage unique (2040), ils n'apparaissent pas crédibles.
Des pionniers partis trop tôt ?
Cette absence de cadre réellement encourageant fait peser une menace sur les initiatives qui ont commencé à se déployer. En particulier, un tissu d'entreprises a commencé à émerger dans le domaine du réemploi qui implique toute une chaîne logistique et de prestataires (centre de lavage, point de collecte, solution logicielle de gestion des flux, travail sur les emballages eux-mêmes...). « Certains acteurs avaient pris de l'avance et étaient prêts à accompagner les professionnels dès la loi Agec », explique Charlotte Soulary. Pour l'essentiel, ces professionnels sont réunis au sein de Réseau Vrac et Réemploi (RV&R), fusion des associations Réseau Vrac et Réseau Consigne.
Le petit écosystème représente environ 2 000 emplois, 1 000 sites et 500 producteurs. Et des collectivités locales ont commencé à les soutenir. Le Conseil Régional d’Île-de-France, par exemple, a financé une centaine de projets sur son territoire, à hauteur de 6 millions d'euros. Et au-delà des réseaux de distribution militants comme les Biocoop, la grande distribution s'intéresse au sujet. Pionnier, Carrefour a mis en place un dispositif de consigne de bouteilles en verre et de contenants de produits du quotidien dans plusieurs magasins. Le distributeur a engagé cette démarche avec Loop, plateforme de réemploi. « La consigne est une réalité. Elle ne relève plus de l'expérimentation, mais d'une filière en train de passer à l'échelle », avance Clémence Schmid, sa directrice générale. Fondée en 2019 par l’entreprise de recyclage TerraCycle, Loop travaille aujourd'hui avec 70 magasins de la grande distribution (Carrefour, Walmart) et 200 fabricants de produits du quotidien (Bonduelle, Nivea Men, Coca-Cola...) pour commercialiser une version réutilisable de leurs emballages.
L'étape cruciale du passage à l'échelle
Le dynamisme de Loop ne doit pas masquer l'état général des entreprises du réemploi aujourd'hui, alertent les intervenants de la matinée : « Les pure playeurs qui se sont positionnés lors de la promulgation de la loi Agec sont à 100% sur le réemploi. Pour vivre, il leur faut des volumes, et aujourd'hui, ces volumes ne sont pas là », pointe Célia Rennesson, directrice générale du Réseau Vrac et Réemploi. Le constat est partagé par Anne-Sophie de Kerangal, chef du service économie circulaire et déchets au Conseil régional d'Ile-de-France : « le système est fragile. Si l'on ne passe pas à l'échelle, les investissements auront peut être été réalisés à perte. Il y a sur le territoire des unités de lavage qui fonctionnent peu, car le changement d'échelle ne s'opère pas. Il s'agit d'un véritable challenge de transformation de modèle ». « Le marché a besoin d'un signal fort du politique pour sauter le pas collectivement. Si on reste dans le flou, personne n'investira », avance pour sa part Charlotte Soulary. Ce signal « fort » passe par plusieurs mesures, à commencer par des objectifs de réemploi beaucoup plus ambitieux. « Économiquement, cette filière est fiable. Elle fonctionne déjà dans plusieurs pays. Mais l'industrie a besoin d'un cap. Nous sommes nombreux à être prêts à investir, mais une industrie se développe en fonction de son carnet de commandes», rappelle Clémence Schmid.
Les députés à l'origine de la proposition de loi ont également identifié cette priorité : le rehaussement des objectifs de réemploi est au cœur de leur texte. Son article premier renforce les objectifs de la loi Agec concernant les emballages réemployables, avec un taux de 20% en 2027 (au lieu de 10%), et de nouveaux objectifs définis à l’horizon 2035 (40 %) et 2040 (50 %). L'obligation de la consigne en verre rentrerait en vigueur dans les grandes surfaces en 2025 « pour traduire juridiquement les annonces de la secrétaire d’État » et son rétablissement envisagé rapidement pour les cafés, hôtels et restaurants. En outre, « il faut mettre en place un véritable régime de sanctions », prévient Maxime Laisney, député de Seine-et-Marne (LFI), l'un des auteurs de la proposition de loi. Leur absence, qui n'incite pas les acteurs économiques à mettre en place les dispositifs obligatoires, fait aussi partie des freins identifiés par les intervenants de la matinée.
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Anne DAUBREE
De gauche à droite, Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer chez Zéro Waste France,
Célia Rennesson, directrice générale du Réseau Vrac et Réemploi.
Charles Fournier, député d'Indre-et-Loire