Réforme des retraites : des choix politiques contestés et contestables
Un front syndical unitaire s’est formé contre le projet de réforme des retraites, qui a débouché sur une forte mobilisation le 19 janvier, avant une nouvelle journée de contestation prévue le 31…Retour sur ce qui fâche et ce qui est discutable.
Le 10 janvier dernier, la Première ministre a dévoilé la réforme des retraites, qui a mis vent debout l’ensemble du monde syndical. Régime général et fonction publique seront concernés par deux mesures phares : le report progressif, jusqu’en 2030, de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans, accompagné d’une accélération de l’allongement de la durée de cotisation (43 ans dès 2027, et non 2035), issue de la réforme Touraine de 2014. L’âge de la retraite à taux plein et sans décote reste cependant fixé à 67 ans. Évidemment, après avoir dégoupillé la grenade de l’âge légal, Elisabeth Borne se devait aussi d’annoncer des aménagements sur les carrières longues, la pénibilité, le montant de la pension minimale, etc.
Un choix politique
En lieu et place d’une réforme complète du système des retraites, maintes fois annoncée, le gouvernement s’est contenté d’une énième réforme paramétrique. Or, dans un régime de retraite par répartition, les cotisations versées annuellement par les actifs doivent être égales aux retraites versées la même année. Par conséquent, l’équilibre financier ne peut être obtenu qu’en jouant sur trois paramètres : le taux de cotisations afin d’avoir, à assiette égale, plus de ressources ; l’âge moyen de départ en retraite, en espérant avoir plus d’actifs et moins de retraités ; le niveau relatif des retraites. Se refusant catégoriquement à une hausse des prélèvements obligatoires, le gouvernement s’est rabattu sur le report de l’âge légal.
Des arguments contestables
Pour justifier du caractère indispensable de sa réforme, le gouvernement a égrené une liste d’arguments : déficit insupportable du système, injustice du système actuel, hausse de l’espérance de vie, nécessité de s’aligner sur nos voisins européens… Tous ces arguments, même s’ils semblent frappés au coin du bon sens, sont néanmoins discutables.
En premier lieu, l’espérance de vie augmente désormais beaucoup moins que dans les années 1990, de sorte que les récentes réformes ont déjà réduit la durée de la retraite par rapport aux générations passées. Quant à ceux qui entrent tardivement sur le marché du travail, ils sont déjà contraints d’aller au-delà de 62 ans, afin de valider tous leurs trimestres. Cette réforme pénalisera donc en premier une certaine classe moyenne déjà rudement touchée par la récession et l’inflation.
Par ailleurs, chaque réforme — en particulier celle de 2010 — conduit toujours, d’une manière ou d’une autre, à la baisse du niveau relatif des retraites par rapport aux salaires. C’est d’ailleurs cette baisse relative, couplée au report de l’âge de départ qui, selon le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), éloigne le risque de faillite du système. Et si les dépenses de retraite représentent plus de 14 % du PIB, c’est avant tout un choix collectif — dans une France jacobine —, qui permet d’avoir un faible taux de pauvreté des retraités.
Certes, en l’absence de gains de productivité, le COR prévoit un système déficitaire en moyenne sur les 25 prochaines années, mais rien d’insupportable pour les finances publiques. Alors que, pour Bruno Le Maire, « aucun déficit n’est négligeable. Il ne peut y avoir de solidarité à crédit ». Pourquoi le gouvernement contribue-t-il alors lui-même à ce déficit avec des exonérations massives de cotisations sociales ?
Le taux d’emploi des seniors comme variable clé
Assurément, la réussite d’une telle réforme dépendra avant tout du taux d’emploi des seniors, qui demeure extrêmement faible en France : seulement 35,5 % pour les 60-64 ans (10,9 points de moins que la moyenne de l’UE), avec de fortes disparités entre cadres et ouvriers. C’est pourquoi, un « index sera créé sur la place des salariés en fin de carrière », dans les entreprises de plus de 1000 salariés en 2023, et dans celles de plus de 300 salariés dès 2024, indicateur qu’Élisabeth Borne a néanmoins, le 14 janvier, vidé de sa pertinence, en jugeant « compliqué de sanctionner des entreprises qui n’emploieraient pas assez de seniors ».
Quoi qu’il en soit, affirmer -comme le fait le gouvernement-, qu’il existe un lien mécanique entre report de l’âge légal de départ à la retraite et taux d’emploi des seniors, est fallacieux. Les études montrent, en effet, qu’une telle explication peut partiellement tenir pour les cadres, mais pas pour les autres travailleurs, qui risquent de plonger en nombre dans le sas de précarité (ni en emploi ni à la retraite). Avec à la clé, une hausse du nombre de chômeurs et de bénéficiaires d’allocations sociales (ASS, Allocation de solidarité spécifique, RSA). Dans les conditions actuelles d’emploi des seniors, Emmanuel Macron n’avait-il pas raison d’affirmer, en 2019, que « tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ça serait assez hypocrite de décaler l’âge légal » ?
Et si en fin de compte, l’objectif du gouvernement avec cette réforme était avant tout de réduire les dépenses publiques, afin de rassurer tout à la fois nos voisins européens, la Commission européenne et les marchés financiers ?
Encadré
Totems, ouverture et calendrier
Nouvelle étape pour la réforme des retraites, le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres ce 23 janvier. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt a réaffirmé que le gouvernement ne compte pas revenir sur la mesure phare du report de l’âge légal de départ en retraite, ni sur l’accélération de la réforme Touraine sur l’allongement de la durée de cotisation. Objectif du gouvernement : un retour à l’équilibre du système dès 2030. En revanche, sur l’emploi des seniors, l’exécutif serait ouvert « à regarder sans tabou des mesures coercitives pour les entreprises qui ne joueraient pas le jeu », a indiqué Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, dans un entretien au Parisien, le 22 janvier.
Le texte, un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, sera examiné en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale à partir du 30 janvier, avant d’être débattu en séance publique dans l’hémicycle, à compter du 6 février.
B.L