Réforme des retraites : un « conclave » sans fumée blanche

Jeudi 27 février, les partenaires sociaux ont commencé à débattre d’une énième réforme éventuelle du système des retraites, dans le cadre d’un « conclave » de trois mois, voulu par François Bayrou.

(c) Adobe Stock
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C’était le prix à payer pour s’assurer de la non-censure du gouvernement par le Parti socialiste (PS). François Bayrou a ainsi accepté de rouvrir le chantier des retraites, alors même que la précédente réforme de 2023 — finalement adopté par l’article 49.3 — avait conduit des centaines de milliers de Français à manifester leur opposition dans la rue. Pris en tenaille entre deux blocs politiques que tout oppose, sauf le désir de voir cette loi de 2023 abrogée, le Premier ministre a dès lors choisi de convoquer les partenaires sociaux à un débat éclair de trois mois sur les retraites, baptisé en grande pompe « conclave ».

Chiffres clés des retraites

Alors que la France dispose d’un Comité d’Orientation des Retraites (COR) dont la qualité du travail est quasi unanimement saluée, le Premier ministre a préféré commander un nouveau rapport à la Cour des comptes, afin de nourrir les débats. Serait-ce dû au fait que les projections du COR sont loin d’être aussi alarmistes que le gouvernement voudrait le laisser penser ?

Quoi qu’il en soit, la Cour des comptes rappelle que le « système de retraites est complexe » et que, s’il a été excédentaire de 8,5 milliards d’euros, en 2023, les situations sont hétérogènes selon les régimes. Elle anticipe un déficit global du système des retraites de 6,6 milliards d’euros en 2025, stable jusque vers 2030, avant une nouvelle dégradation continue jusqu’en 2045 où le déficit atteindrait 30 milliards d’euros. Bien loin en tout cas des 55 milliards d’euros évoqués avec catastrophisme par François Bayrou !

Le rapport liste ensuite les principaux leviers de réforme et leurs effets sur l’équilibre financier du système de retraites obligatoires : âge d’ouverture des droits, durée d’assurance requise, taux de cotisation, indexation des pensions. Sans surprise, en l’absence d’évolution favorable de la démographie et des conditions socioéconomiques, toute variation de l’un de ces paramètres creuserait inévitablement le déficit du système à l’horizon 2035.

Tenants et aboutissants du « conclave »

La « délégation permanente » de partenaires sociaux, composée de sept syndicats (CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO, Unsa et FNSEA) et trois organisations patronales (Medef, CPME et U2P), doit négocier sur une amélioration du système de retraites, sous la houlette d’un animateur, l’ancien directeur général de l’Agirc-Arrco, Jean-Jacques Marette.

La méthode interroge cependant à plus d’un titre. D’abord, pourquoi nommer un animateur des débats, alors que les partenaires sociaux ont toujours négocié directement, souvent avec succès ? S’agit-il de s’assurer que quelque idée tangible en sortira tout de même, ce qui est loin d’être assuré si l’on en juge par les positions très opposées et tranchées : retour à l’âge de départ en retraite à 62 ans pour les uns, hausses de cotisations sociales voulues par d’autres, alignement du taux de CSG des retraités sur celui des actifs pour la CPME, etc.

Quant au délai, l’on peine à imaginer comment un compromis pourrait émerger en si peu de temps, dans un contexte politique et social encore bien plus dégradé qu’en 2023.

Un débat mal engagé

À l’évidence, ce débat est mal engagé depuis le début, ne serait-ce qu’en raison des immixtions trop nombreuses de ministres par voie de presse. Pis, la veille de l’ouverture des débats, François Bayrou a jugé bon d’envoyer une lettre de cadrage, dans laquelle il invite les partenaires sociaux à tenir compte de l’impact sur « la compétitivité et l’emploi » de toute évolution des paramètres du système. Par ailleurs, les débats devront se faire sous la contrainte de rétablir l’équilibre financier du système pour 2030. À défaut, la loi de 2023 continuera à s’appliquer.

Depuis, le président du Medef, Patrick Martin ne cache plus son « pessimisme sur l’issue des discussions ». Et le coup d’éclat du secrétaire confédéral du syndicat FO ne fait qu’enfoncer le clou : refusant de participer à ce qu’il a qualifié de « mascarade où on veut nous faire dire que la seule solution, c’est d’allonger la durée de travail pour les salariés ». Et en fin de compte, quelle que soit l’avancée qui en sortira — à défaut de compromis —, la réforme devra encore passer sous les Fourches caudines de l’Assemblée nationale. Voilà certainement pourquoi François Bayrou a évoqué l’idée d’un référendum, alors même qu’une petite musique se fait entendre concernant un transfert complet de la gestion du système de retraites aux partenaires sociaux…

Quant à l’introduction d’une forme de retraite par capitalisation, en complément ou en substitution du système actuel par répartition, elle ne résout en rien le problème démographique, qui se traduit, inéluctablement, par une baisse tendancielle du ratio cotisants/retraités ou acheteurs/vendeurs d’actifs.

Ouvrir à nouveau si hâtivement le débat sur les retraites en cette période troublée s’apparente donc à ouvrir la boîte de Pandore.