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Santé mentale en entreprise : les DRH à bout de nerfs

Alors que la pandémie de Covid a remis en lumière et accentué la dégradation de la santé mentale, notamment chez les jeunes, le Premier ministre, Michel Barnier, s’est emparé de la question dans son discours de politique générale : la santé mentale sera la prochaine grande cause nationale en 2025. A l’occasion de la journée mondiale dédiée au sujet, le 10 octobre, l’ANDRH a organisé un webinaire sur la santé mentale des professionnels RH, mettant en avant les signes avant-coureurs du burn-out et les clés pour s’en sortir.

© Adobe Stock.
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« Je me suis purement et simplement laissé écraser par mon travail qui était à la fois passionnant, lourd en volume et un peu oppressant ». Alors qu’il travaillait en tant que DRH dans une organisation « avec de beaux défis et de beaux enjeux », Emmanuel Gobin a fait un burn-out : « Je me suis retrouvé par terre dans mon bureau sans connaissance », soit plusieurs dizaines de minutes qu’il a « complètement oubliées. C’est une notion importante du traumatisme que l’on peut vivre, à un moment le cerveau se déconnecte », raconte-t-il. Lydia Martin, docteur en psychologie et psychologue du travail, explique que pendant un burn-out, « la tête n’est plus là, c’est le corps qui va décider ».

Hyperactivité psychique

La phase de « burning », qui précède un burn-out se caractérise par « une hyperactivité psychique » et par un « déni de soi » pendant lequel la personne « n’écoute pas ce corps » et se créé des arguments pour « essayer d’externaliser la situation, pour la légitimer, pour se justifier », explique Emmanuel Gobin. Il illustre son propos en utilisant le générique du film « Mission impossible » : « Dans le burn-out, à un moment donné, il y a une mèche qui s’allume. On ne sait pas encore jusqu’où ça va brûler, ça va prendre du temps ». De Mission impossible, l’ancien DRH est passé à « Charlie Chaplin des temps modernes ». Un Charlie Chaplin « tellement soucieux de la qualité des engrenages qu’il les nettoie avec un chiffon. A un moment donné, il est emmené par un rouage ». Pourtant, le DRH avait eu des signes avant-coureurs qu’il n’a pas écoutés, comme la disparition de son sommeil. « Ce n’est matériellement plus possible de dormir au sens physique du terme, puisque plus on a de dossiers, plus il faut rajouter une petite heure supplémentaire chaque jour pour le finir, parce que l’on pense que l’on va y arriver, alors que tous les indicateurs sont au rouge ».

Et troubles de l’humeur

Sauf que dans cette phase de burning, l’ancien DRH ajoute que l’on est « beaucoup moins performant. Il faut fournir plus d’efforts pour parvenir au même résultat et encore, parce que l’on dort mal, à un résultat de piètre qualité ». Et la spirale infernale est enclenchée : « Comme on a des résultats qui ne sont pas à la hauteur de notre professionnalisme, cela a un impact supplémentaire sur notre qualité de sommeil, donc on dort peu et on dort mal », justifie-t-il. Pour Lydia Martin, le sommeil est véritablement un indicateur. « Qu’est ce qui me réveille la nuit, à quoi je pense le matin si je me réveille plus tôt ? Quelles sont les premières pensées qui vous viennent ? Si elles sont en lien avec le travail, ça dit quelque chose, ce n’est pas neutre ». Autre signal d’alerte, les « troubles de l’humeur », qui peuvent s’exprimer par une plus grande irritabilité, du stress, des larmes ou autre. « Il y a quelque chose qui va échapper à notre contrôle. On est dans quelque chose que l’on n’arrive plus à réguler », explique Lydia Martin qui conseille de « faire régulièrement sa météo » intérieure afin de prendre du recul sur les signes que l’on ne peut pas voir.

Pour les passionnés et engagés

La cible idéale de ces burn-out ? « Les personnes passionnées et engagées » signale la psychologue du travail, comme Emmanuel Gobin qui « prenait plaisir à travailler comme un fou ». Et d’insister sur le fait que « les tire-au-flanc ne font pas de burn-out ». Pour s’en sortir, Emmanuel Gobin, devenu directeur général des Papillons Blancs d’Hazebrouck (Nord), association qui aide les personnes en situation de handicap à accéder à un emploi ou à une formation, confie avoir fait un travail sur lui-même. « Il faut accepter de se regarder dans le miroir et s’interroger sur ce qu’il faut changer. Cela passe par une reconstruction psychique. Il faut accepter la logique de la vulnérabilité ». S’il avait été éduqué avec la ritournelle « On peut déplacer des montagnes », le burn-out l’a amené à penser que cet « adage populaire est faux ». Ainsi, il a appris que mieux valait emprunter d’autres chemins et contourner les montagnes. « C’est plus simple d’accepter la réalité et d’avoir conscience de l’obstacle. Il ne faut pas être dans la résistance ou dans la force ». Parmi les autres enseignements qu’il a tirés de son burn-out, Emmanuel Gobin s’est habitué à scinder temps de travail et temps de repos. « Il est important de marquer la différence des temps. Je ne ramène plus jamais de travail à la maison », clame celui qui, depuis, s’applique à travailler dans les temps impartis. Une nécessité de mettre des limites entre le travail et soi-même, que confirme également Lydia Martin.

64 % des RH en détresse psychologique

Le cas d’Emmanuel Gobin est loin d’être un cas isolé. Ainsi, Culture RH 2022 révèle que 64 % des professionnels des RH sont en détresse psychologique* et 63 % sont en situation de burn-out, dont plus d’un tiers en situation de burn-out sévère. Un taux quasiment deux fois plus élevé que celui de l’ensemble des salariés toutes fonctions confondues. Principale conséquence : 56% des DRH envisagent de quitter leur poste en 2024, selon le site MédiaAvenir 2024. Des causes qui sont multifactorielles. Avec, en premier lieu, un épuisement professionnel. « La pression constante, exacerbée par la pandémie, affecte l'équilibre travail-vie des DRH, les poussant à envisager un changement d'emploi ».

Deuxième facteur aggravant, une reconnaissance insuffisante : les DRH cherchent à être reconnus comme partenaires stratégiques, avec une autonomie qui favorise l'innovation et l'implication. « Beaucoup de choses qu’ils font ne sont pas visibles, car nombre d’entre elles sont confidentielles », explique Lydia Martin. En outre, les professionnels des RH subissent « une pression duale » qui les oblige à jongler entre le bien-être des collaborateurs et les impératifs de performance de l’entreprise. Ce qui constitue une source de tension significative pour eux. Enfin, ils sont contraints de mettre en place des solutions temporaires, comme recourir à des consultants RH pour faire face aux problématiques qu’ils rencontrent et combler les lacunes stratégiques. Un recours qui souligne le fait qu’ils n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour faire face aux situations et qui met en lumière leur « besoin d'expertise permanente et ancrée dans l'organisation ». Mettant en avant la notion salvatrice du métier de RH –« On aime bien sauver quelque chose qui est compliqué », comme « une situation humaine inextricable », « un dossier de transformation d’organisation dans lequel les enjeux humains seront importants », alors même que « le DRH n’est pas le sauveur des organisations », rappelle Emmanuel Gobin. Il souligne que la santé de ces DRH est primordiale. Partant du constat que « lorsque l’on est replié sur soi, on ne peut pas être ouvert aux autres », les DRH se doivent d’être eux-mêmes en bonne santé pour pouvoir penser à la santé des autres. « Ils doivent être alertes psychiquement, car ils doivent traduire les attentes des équipes et relayer les messages des dirigeants ».

* Source : « Santé mentale et entreprise : les chiffres de détresse en hausse (notamment au sein des RH) »

Charlotte DE SAINTIGNON