« L'agriculture bio n'est pas dépendante des engrais azotés importés »
Trois questions à Philippe Camburet, président de la FNAB, Fédération nationale d'agriculture biologique
Après des années de croissance, la consommation de bio a diminué en 2021. Mais ce qui inquiète la FNAB, c'est un retournement en faveur de méthodes agricoles intensives, en lien avec la guerre en Ukraine, alors que la crise montre la résilience de l'agriculture bio.
Après plusieurs années de croissance, le marché du bio a diminué de 3,1% en 2021 en France, d'après l’institut IRI. Comment l'expliquez-vous et cela vous inquiète-t-il ?
Le marché a connu une inflexion indéniable, mais il faut conserver la tête froide : nous venons de vivre deux années qui ont bouleversé nos habitudes de consommation. Or, si les chiffres du marché bio ont effectivement baissé sur le court terme, ce n'est pas le cas si l'on se réfère à 2019. Il existe plusieurs explications à cette baisse. En particulier, aujourd'hui, la multiplication des allégations environnementales peut perdre le consommateur, et le bio souffre d'un déficit d'image. C'est ce que montrent les études Kantar. Nous allons donc réaliser une campagne de communication pour laquelle nous avons collecté un million d'euros, afin de nous adresser aux consommateurs. Une autre raison de cette baisse tient au fait que le bio souffre d'une image assez négative en terme de prix. Certains circuits de distribution le considèrent comme une manne : ils récupèrent des marges importantes et ont développé des pratiques commerciales abusives qui ont dégradé sa réputation. En circuits de proximité, le bio n'est pas systématiquement plus cher !
L'Insee prévoit une hausse de 2,5 % en juin sur un an des prix alimentaires, contre 1,5 % en janvier. Comment ce contexte inflationniste va-t-il impacter le match conventionnel / bio?
Avec l'inflation qui arrive sur les produits alimentaires, il est vraisemblable que les produits conventionnels rattrapent ceux bio, en matière de hausse des prix. Déjà, nous observons un quasi-alignement des prix pour la viande de bovin en bio et en conventionnel. En fait, la crise met en lumière le fait que les fondements de l'agriculture bio la rendent plus résiliente. En effet, notre cahier des charges nous impose d'être indépendants en ce qui concerne l'alimentation des animaux, tout comme en matière de fertilisants. Ces derniers doivent être produits sur la ferme. En conséquence, l'agriculture bio n'est pas dépendante des engrais azotés importés. Dans le même sens, la consommation d’énergie est bien moindre en bio qu'en conventionnel, par exemple, concernant les fruits et les légumes qui poussent sous serre. Au total, il n'y a pas de raison que les prix du bio évoluent autant à la hausse que le feront probablement ceux de l'agriculture conventionnelle.
On évoque aujourd'hui une possible crise alimentaire mondiale comme conséquence de la guerre en Ukraine. L'impératif de productivité s'impose-t-il au détriment des autres modèles agricoles ?
Je m'insurge contre l'instrumentalisation de cette situation, basée sur des prospectives très approximatives. Les surfaces agricoles en Ukraine ne sont pas détruites ; les prévisions de baisse de la production, surévaluées. Derrière cette instrumentalisation, il y a une volonté de faire table rase des avancées en matière de verdissement de l'agriculture, pour retourner vers les habitudes productivistes. Par exemple, on remet en question le système de jachère, prévu par la PAC afin de désintensifier l'exploitation des terres. Mais il faut donner les vraies clés d'explication : les pays qui ont été habitués à importer massivement une alimentation de faible qualité sont ceux qui vont être concernés par des risques de famine. Ils sont asservis à un système et nous portons la responsabilité d'avoir laissé faire cela. Et en ce qui concerne la France, lors des confinements, nous nous sommes beaucoup interrogés sur ce qui était prioritaire, essentiel... Mais nous avons raté l'occasion de nous questionner sur les enjeux de se nourrir durablement, équitablement et sainement. Et j'ai bien peur que le plan de résilience demeure dans une vision court-termiste, sans répondre aux besoins de transformation en profondeur de l'agriculture.