Avec la pandémie, le mécénat découvre les enjeux de la santé

Crédit Photo : A.DAUBREE 
Paris. Avril 2020. De nombreuses personne vivent encore dans la rue. Jamais le lien entre santé publique et précarité n’a été aussi fort.
Crédit Photo : A.DAUBREE Paris. Avril 2020. De nombreuses personne vivent encore dans la rue. Jamais le lien entre santé publique et précarité n’a été aussi fort.

Jusqu’alors délaissée par les mécènes, la cause de la santé fait l’objet d’une vague de générosité sans précédent. Inédite, la crise sanitaire génère des réponses très variées et nouvelles. Perdureront-elles, l’urgence passée ? 

La crise sanitaire a généré un élan de générosité sans précédent dans la population, mais aussi dans les entreprises. Chez ces dernières, difficile à chiffrer, «la mobilisation se concentre principalement sur  trois domaines, le soutien à la recherche, l’aide d’urgence, et le soutien au personnel soignant», analyse Sylvaine Parriaux, déléguée générale d’ Admical, qui regroupe quelque 200 entreprises mécènes. Concernant la recherche, par exemple, instituts spécialisés et projets spécifiquement liés à la crise sanitaire ont obtenu des soutiens. L’Institut Pasteur a, par exemple, reçu un million d’euros de BNP Paribas. Le flux majeur des initiatives, toutefois, semble se diriger vers les causes de l’urgence et du soutien au personnel soignant. Le  «fonds d’urgence covid-19», mis sur pied par l’AP-HP, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a reçu de nombreux dons, importants et modestes, destinés à  permettre à ses établissements sous haute tension de fonctionner. Eurazeo, par exemple, a donné un million d’euros, notamment destiné à rénover les services d’accueil des urgences. Dons de masques, gels hydroalcooliques, crèmes pour les mains, ont également fait l’objet de dons d’entreprises de toutes tailles (LVMH, groupe mondial, 1083, fabricant de jeans, une PME,  Fun’Ethic, TPE de cosmétiques …).

Et, au delà du strict enjeu sanitaire, les différents besoins du personnel soignant font l’objet de nombreuses initiatives pour les aider à se loger, se déplacer ou se nourrir. Par ailleurs,  l’enjeu sanitaire de la pandémie recouvre, en fait, un spectre extrêmement large de problématiques, et en particulier, la précarité : «certains mécènes se rendent compte qu’il est nécessaire de soutenir les publics moins visibles mais fragiles, comme les personnes handicapées. Il y a également la question des plus vulnérables, les ‘confinés’ de la rue,auxquels il faut assurer des conditions de vie décentes, pour eux-mêmes et pour l’ensemble de la communauté», ajoute Julie  Bourdel, analyste chez Admical. Par exemple, la fondation L’Oréal a donné un million d’euros et des kits d’hygiène à des associations engagées contre la précarité.

A crise inédite, réponses nouvelles 

Sur le terrain, les mobilisations des entreprise prennent des formes très diverses, qui vont du don simple, -une pratique de mécénat un peu oubliée-, à l’utilisation des moyens de l’entreprise, et jusqu’au détournement de son outil de production. La pandémie déclenche une «innovation» dans les formes d’action, constate Admical. Total a, par exemple, offert 50 millions d’euros en bons carburants aux soignants. Dans le secteur hôtelier, les groupes Accor et  Akena Hotels & FastHotel ont ouvert les portes de leurs chambres, gratuitement, aux soignants et précaires. Et les entreprises des filières mode, chimie, et cosmétique ont été jusqu’à détourner leur outil de production pour fournir les indispensables masques et gels hydroalcooliques. «Lorsque ces produits sont offerts, c’est du mécénat. S’ils sont vendus à prix coûtant, cela relève de la responsabilité sociale d’entreprise», précise Sylvaine Parriaux.

Autre spécificité de cet élan de générosité, son caractère diffus, dans un pays où 9% seulement des entreprises sont mécènes, d’après Admical. «Bordeaux, Clermont-Ferrand, Caen…On assiste à de nombreux exemples de mobilisations locales spontanées en faveur des CHU. Par ailleurs, des structures comme ‘Bordeaux Mécènes Solidaires’ ou ‘Metz Mécènes Solidaires’ développent des actions en faveur des plus démunis sur leur territoire», constate Sylvaine Parriaux. Les actions locales sont très variées. Elles vont de la  livraison de mille pizzas par un restaurateur local, au CHU de Bordeaux, à celle de  8 500 litres de gel hydroalcoolique pour des hôpitaux et des Ehpad du Grand-Ouest (Yves Rocher). Quant à Mécènes Solidaires Metz, fonds de dotation territorial (qui réunit acteurs privés et publics),  il a débloqué 10 000 euros pour les associations locales qui s’occupent, par exemple, des seniors confinés en  Ehpad, des personnes à la rue, ou des femmes en situation de violences familiales.

La santé, après l’urgence 

Que restera-t-il de cet élan, après la crise ? Le fonds Axa pour la Recherche a annoncé qu’en 2020-2021, il consacrera 5 millions  d’euros  pour développer des réponses aux maladies infectieuses, y compris pour la mise en place de solutions post-crise. De façon plus globale, toutefois, «il est difficile de prévoir si les entreprises qui ont mené des opérations ponctuelles, comme le fournisseur de café qui a organisé l’opération ‘du café pour les soignants’  vont poursuivre leur engagement  dans le domaine de la santé, après la fin de la crise», analyse Sylvaine Parriaux.

Traditionnellement, la santé ne fait pas du tout partie des causes privilégiées par les mécènes en France : ceux-ci se tournent principalement vers le social, la culture et l’éducation. En 2018, les trois concentrent les trois quarts des quelque 3 milliards d’euros, donnés par les mécènes. La santé, elle, ne pèse que pour 11% de ces montants, et la recherche, 1%. De plus, précise Julie Bourdel, «au sein de la santé, les thèmes privilégiés étaient plutôt le ‘bien vieillir’ et le handicap que des problématiques comme le soutien au système de santé». Ce dernier, dont le manque de moyens est criant, part donc avec un handicap, en matière de mécénat. Depuis longtemps, en effet, les institutions culturelles et les universités ont intégré cette démarche. En revanche, dans le domaine de la santé, seuls quelques pionniers, comme l’institut Pasteur et  l’Hôpital Américain de Paris font appel à la générosité privée depuis le tournant du X Xe siècle, et Gustave Roussy, Centre de lutte contre le cancer, depuis les années 2000. Mais pour l’essentiel, cela fait une dizaine d’années seulement que des CHU, à Nice, Nîmes, Grenoble,  Rennes ou Reims,  se sont structurés pour faire appel au mécénat, notamment en mettant sur pied des fonds de dotation. Pour le secteur de la  santé, en matière de mécénat,  la crise du coronavirus pourrait représenter un tournant.

Anne DAUBREE