Chemin de fer : un plan incertain pour les lignes secondaires
Après des décennies consacrées à renforcer le réseau à grande vitesse, l’Etat se soucie des lignes secondaires, qui desservent principalement les villes moyennes et petites. Le gouvernement a présenté, fin février, un plan d’action, mais le budget fait pour l’instant défaut.
Entre Strasbourg et Paris, la durée du trajet en train s’est allongée de 35 minutes, suite à un glissement de terrain survenu le 5 mars. Les TGV empruntent momentanément l’ancienne voie, qui traverse le massif des Vosges, avant de rejoindre la ligne à grande vitesse en Lorraine. «Mais sur la ligne classique, le train roule aujourd’hui moins vite qu’avant la mise en service de la ligne TGV, en 2016 », observe un habitué, qui s’interroge : «peut-être la voie a-t-elle été mal entretenue depuis, et ne supporte plus les convois lourds ».
Une ligne de chemin de fer, ça s’entretient régulièrement. Et faute d’avoir respecté cette règle, la France a de facto abandonné de nombreuses lignes ferroviaires secondaires. A partir des années 1980, et jusqu’au milieu des années 2010, l’Etat a privilégié la grande vitesse, qui relient les capitales régionales à Paris. Les trains locaux desservant les villes petites et moyennes, pour l’essentiel transférés aux régions, devenaient subsidiaires des grandes lignes. «Les TER ont vocation à se raccorder aux lignes à grande vitesse», assurait encore, en 2017, le vice-président en charge des transports de la région Nouvelle Aquitaine. Ainsi, de nombreuses dessertes locales ont été délaissées, assurées non plus par des trains mais par des cars, voire totalement abandonnées. Le chemin de fer n’est plus le mode de transport le plus fiable, et les voyageurs s’en sont progressivement détournés, à l’exception des clients du TGV, navigant entre les grandes villes comme d’autres prennent l’avion. L’entretien, même minimal, des lignes où les convois passent presque à vide, finit par coûter cher.
Tout ceci a été détaillé, avec force chiffrages, dans le rapport rédigé au printemps 2018 par Jean-Cyril Spinetta, ex-PDG d’Air France, à qui le gouvernement avait demandé de plancher sur les 9 000 kilomètres de «lignes secondaires», sur un total de 28 000 kilomètres que compte le territoire français. Le document, publié au moment où les cabinets ministériels préparaient la loi d’orientation des mobilités, avait causé un grand émoi chez les élus locaux, qui n’entendaient pas renoncer à «leur» gare. Quelques jours plus tard, le Premier ministre avait finalement annoncé que le traitement des «petites lignes», comme il est d’usage de les baptiser, serait reporté à plus tard. Un nouveau rapport était commandé, cette fois à François Philizot, préfet et spécialiste de l’aménagement du territoire.
Financement : trois possibilités
Jusqu’à présent, ce rapport demeurait confidentiel, sans doute pour ne pas susciter à nouveau l’inquiétude des élus locaux. Fin février, le secrétaire d’Etat aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, s’est enfin décidé à en rendre publique une version synthétique. Ce dévoilement, assorti d’un «plan d’action» du gouvernement destiné à «soutenir» les lignes secondaires, est intervenu juste avant les municipales, mais une bonne année avant une échéance électorale encore plus significative, les élections régionales.
Le ministère des Transports a présenté, à cette occasion, des protocoles d’accord conclus avec deux régions, Grand-Est et Centre-Val-de-Loire. La première est connue pour sa politique ferroviaire robuste, impulsée par des élus et des agents qui œuvraient, il y a quelques années, à la région Alsace. La seconde se distingue par un relief peu escarpé, et les voies nécessitent donc moins de gros travaux de soutènement. Dans les deux cas, les réseaux concernés par les protocoles d’accord demeurent limités, respectivement 400 et 250 kilomètres.
Les lignes ont été classées en trois catégories. Tout d’abord celles qui ont vocation à rejoindre le «réseau structurant», et qui seront financées à 100% par SNCF Réseau, la branche de la compagnie chargée de la gestion et de l’entretien des infrastructures. Elles relient par exemple des préfectures départementales ou des villes moyennes, «Nancy-Epinal ou Bourges-Montluçon», indique le ministère. Une deuxième catégorie, jusqu’à 6 500 kilomètres de lignes à l’échelle du pays, sera inscrite dans les contrats de plan Etat-région, outils de financement pluriannuels des collectivités. Enfin, les dernières lignes seront transférées directement aux régions, qui pourront décider de les maintenir à leurs frais, ou non. Il s’agit des parcours les moins empruntés, desservant des sous-préfectures, comme Tours-Loches (Indre-et-Loire) ou Epinal-Saint-Dié (Vosges).
A ces trois catégories correspondent un niveau de financement et la sécurisation de celui-ci. Ainsi, les contrats de plan Etat-région sont moins fiables que la prise en charge directe : ils nécessitent l’engagement de plusieurs échelons, et demeurent soumis à la bonne volonté des services de l’Etat. Il n’est pas rare que les sommes promises soient versées au budget des régions avec plusieurs années de retard.
Pour faire vivre les lignes tout en réduisant ses coûts, le ministère imagine aussi des innovations technologiques, comme le passage à voie unique, la propulsion à hydrogène ou le tram-train qui circule dans les rues d’une ville, tel un tramway. Le «train léger» est censé limiter la pression sur les voies et donc les besoins de maintenance. Ce type de matériel circule en revanche moins vite.
Tout ceci demeure toutefois hypothétique. Car le communiqué du ministère, publié fin février, indique en toutes lettres que «les engagements financiers» seront «présentés dans les semaines et les mois à venir». Certes, chacun est bien conscient que les priorités du moment sont ailleurs, entre les élections municipales, la progression de l’épidémie de Coronavirus et les conséquences économiques de cette crise sanitaire. Mais la question du financement du réseau ferroviaire secondaire finira par se poser. Le rapport Philizot estime à 6,4 milliards d’euros le montant total nécessaire pour le remettre à niveau. Cela semble beaucoup. Une comparaison dans le secteur de la mobilité n’est pas inutile : les accidents de la route en coûtent à eux seuls plus du double.
Olivier RAZEMON