Culture
Comment faire vivre le patrimoine ?
Héberger un tiers lieu, concéder l'exploitation d'un local à un hôtel, accueillir la Fête de la musique... Pour faire vivre le patrimoine, Etat, associations et collectivités développent des stratégies complexes. Témoignages, sur le salon international consacré aux lieux de culture.

L'équation de la vie du patrimoine est à plusieurs variables. C'est ce qu'a montré une table ronde consacrée à « faire vivre le patrimoine, les nouveaux modèles » , tenue le 25 mars à Paris, dans le cadre du SITEM, Salon international des musées, des lieux de culture et de tourisme. Les différents détenteurs du patrimoine ont des contraintes diverses, dont la recherche de nouvelles ressources. C'est notamment le cas du CMN, Centre des monuments nationaux. Cet établissement sous tutelle du ministère de la Culture gère plus de 100 monuments très divers, de l'Arc de triomphe à Paris aux alignements de Carnac, en Bretagne. Au total, ils accueillent 11 millions de visiteurs par an.
Côté ressources, le CMN bénéficie de subventions mais « 70% de notre budget de fonctionnement est assuré par nos ressources propres », explique Josy Carrel-Torlet, directrice du développement économique du CMN. Comme dans tous les établissements culturels, la billetterie constitue la ressource première. S'y ajoute l'activité des librairies boutiques, gérées en propre. Et aussi, « toute l'activité domaniale dans les 600 bâtiments qui nous appartiennent. Nous pouvons faire des concessions pour les restaurants, pérennes ou éphémères, louer des bureaux, privatiser des espaces pour de l'événementiel », poursuit Josy Carrel Torlet. Mais face à des besoins financiers qui augmentent, le CMN questionne son modèle, entend accroître ses revenus. « Aujourd'hui, quelques monuments font vivre les autres. L'objectif est d'augmenter ce nombre, en étant ambitieux, sans rien lâcher sur l'aspect culturel et scientifique de notre mission », commente la responsable. Et l'heure est aussi à l'exploration de nouvelles formules. Début 2023, une expérience pionnière a débuté : un tiers-lieu a été installé dans l'orangerie d'un château du XVIIIe siècle de Jossigny (Île-de-France). Il accueille 12 artisans d'art et s'y tiennent des événements ouverts au public.
Le financement, « un challenge »
Un autre témoignage, émanant d'un acteur très différent, illustre la diversité de la recherche de nouveaux modèles pour faire vivre le patrimoine. Acta Vista appartient au groupe SOS, géant de l'ESS, Economie sociale et solidaire. La structure accompagne des personnes précaires vers l'emploi via des chantiers d'insertion, un dispositif financé par le ministère du Travail. Par exemple, à Marseille, depuis une vingtaine d'années, Acta Vista a investi le fort Saint-Nicolas, immense citadelle fortifiée ( 5 hectares), réalisée pour Louis XIV, en surplomb du vieux port. Mais en 2017, la mairie, propriétaire des lieux, a lancé un appel à projets pour la reconversion et la valorisation de l’édifice. Acta Vista s'est porté volontaire, une association- association Citadelle de Marseille - a été mise sur pied et bénéficie d'un bail emphytéotique de 40 ans (à partir de 2021). « En mai 2024, nous avons ouvert une partie de la citadelle au grand public. Le but est de développer un projet culturel et touristique », explique Pâquerette Demotes-Mainard, qui dirige Acta Vista. Au programme : visites guidées thématisées, guinguette, boutique, organisation d'événements comme la Fête de la musique, location des espaces , accueil de résidences d'artistes... Le financement, « hybride », reste un « challenge », constate-elle. Sur son site Internet, l'association affiche une longue liste de « partenaires » publics ( région, département, ville, Métropole ;..) et privés ( Fondation CMA CGM, Fondation la Poste, Banque des territoires, Fondation du patrimoine, Rising sud...). Sur un tel site, les difficultés sont nombreuses. Par exemple, « on ne peut pas transformer le lieu . Or, la salle la plus grande peut accueillir un maximum de 50 personnes. Cela limite la capacité d'exploitation », illustre Paquerette Demotes-Mainard.
« Il faut prendre le temps »
Pour élaborer le projet d'exploitation et de valorisation du site, qui lui a valu de remporter l'appel à projets de la mairie, Acta Vista s'est appuyé sur le dispositif «Réinventer le patrimoine », piloté notamment par Atout France, Agence de développement touristique de la France. « Nous accompagnons l’ingénierie de projets pour les rendre matures, afin qu'ils trouvent des financements », précise Valère Rousseau, coordinateur du programme chez Atout France. Comment élaborer un modèle économique viable ? Articuler participations publiques et privées ? Attirer des investisseurs ? Quelles activités déployer pour développer des ressources propres ? Depuis cinq ans, une trentaine de projets ont bénéficié de ce dispositif qui les aide à répondre à ces questions en élaborant des projets qui conjuguent des dimensions culturelles, touristiques, sociétales...
Chaque projet est spécifique, leur seul point commun étant la complexité. Par exemple, à Charleville-Mézières, sur la superbe place ducale du XVIIe siècle, il a fallu dix ans pour monter un projet d’hôtel milieu gamme – un type d'hébergement qui manquait dans la ville - dans un pavillon d'angle appartenant à la ville. « Cela pourrait sembler facile, or, il s'agit d'un investissement très important à la rentabilité difficile », explique Valère Rousseau. Comportant une SCI créée par une société d'économie mixte d'aménagement et un exploitant qui a jugé le projet rentable, un montage a fini par être élaboré. L'hôtel, en construction, devrait être livré en 2028. Bref, ces « nouveaux modèles » sont loin d'être évidents à élaborer. « Chaque site est spécifique. On ne peut pas dupliquer. Sur le patrimoine, il faut prendre le temps », prévient Valère Rousseau, qui voit parfois des élus qui pensent pouvoir aller vite... Et le contexte actuel, fait de restrictions des budgets publics, complexifie d'autant l'équation du patrimoine.