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e-Marketing et IA : comment peut-on prévoir la satisfaction client ? Sans la manipuler ?

L’intelligence artificielle (IA) innerve de plus en plus le marketing digital. Après la mesure de la satisfaction client, l’étape suivante consiste à anticiper : faire en sorte que le consommateur, le patient, l’usager ne s’enfuit pas ; il faut alors suivre ses habitudes d’achat, scruter son parcours client, évaluer son appétence - sans espionnite aiguë. Et intervenir, s’il y a des indices de dissatisfaction.

© Adobe Stock.
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Quantités de solutions utilisant la ‘data intelligence’ ont fleuri ces dernières années pour dynamiser la relation client. L’analyse de millions de données (les ‘big data’) s’est considérablement enrichie avec des traitements dits « analytics ». Mais l’intelligence artificielle est arrivée sous forme d’apprentissage machine (‘machine learning’ puis ‘deep learning’), apportant une dimension supplémentaire précieuse : le prévisionnel et la production de résultats quasiment en temps réel.

Les marques l’ont bien compris : il est crucial de fidéliser ses clients, plutôt que d’en acquérir de nouveaux. Cela leur coûte cinq à 20 fois moins cher en marketing et en publicité. Il devient alors courant, sinon systématique, de sonder en permanence le niveau de satisfaction des clients après une vente ou une communication ou après une démarche. A cette fin, les outils d’intelligence artificielle (IA) s’avèrent perspicaces pour organiser ce suivi régulier et surtout construire des modèles prédictifs.

On peut s’interroger : ce suivi des clients constitue-t-il une forme d’écoute, traque permanente voire de l’espionnage - y compris via les smartphones - comme le redoutent des associations de consommateurs ? Techniquement tout est effectivement possible. En janvier 2024, le spécialiste européen en cybersécurité ESET Research (Bratislava) a épinglé pas moins de 12 applications mobiles sur smartphones (dont Yahoo Talk, MeetMe…) accusées d’espionner ses utilisateurs.

Du ciblage publicitaire au suivi de satisfaction

Cela ne signifie pas que toutes les marques qui organisent le suivi de satisfaction de leurs clients sur le Web recourent à ce genre de méthodes prohibées et très risquées. Des sociétés spécialisées dans le ciblage publicitaire, comme Criteo, Quantcast,Tapad et d’autres ont été suspectées et, pour certaines, condamnées pour non-respect de la réglementation sur la collecte et l’utilisation de données personnelles (obligation depuis 2018 du consentement explicite des utilisateurs sur les cookies).

Diverses méthodes sophistiquées de collecte de données (géolocalisation, profils de navigation, etc.) sont largement employées pour le ciblage publicitaire. Or, les mêmes outils qui collectent nos centres d’intérêt, nos lieux de séjour favoris ou nos déplacements privilégiés sont également utilisés pour vérifier notre degré de satisfaction ou de mécontentement.


Selon une récente étude de McKinsey, les seuls 6% de dirigeants qui déclarent utiliser des outils de mesure de la satisfaction client déplorent leur manque de granularité et d’exhaustivité. L’autre gros souci est que 7% seulement des clients répondraient aux questionnaires de satisfaction. Force est donc recourir à d’autres moyens.

Lors d’un échange téléphonique avec un conseiller commercial, il se peut que votre voix, avec ou sans enregistrement de la communication, soit analysée par une intelligence artificielle qui détectera votre humeur ou disposition d’esprit - ressentiment ou satisfaction.

Sans aller jusque-là, quantité de solutions vont permettre d’analyser les échanges avec la marque et d’en déduire que vous allez continuer de la recommander ou la quitter. C’est exactement ce qui devient crucial. A titre d’exemples, sept acteurs de l’économie fort divers, en France - dont Audiens (protection, assurance sociale), Ouigo (le low-cost de la SNCF), Mirakl (places de marché d’e-commerce), … - viennent de confier à la jeune pousse Actionable (co-fondée par un ancien de Criteo) la mission de finaliser d’ici à mi-2025 des outils de suivi de la satisfaction client. La promesse est d’apporter une analyse en temps réel permettant de prédire le niveau de satisfaction de 100% des adhérents ou clients au jour le jour et d’intervenir pour éviter qu’ils ne s’en aillent.

L’algorithme mis au point ici travaille sur la totalité des données fournies tout au long du « parcours client ». Outre le score de satisfaction établi en temps réel, il s’agit de construire des modèles prédictifs grâce à l’apprentissage machine et aux calculs statistiques intensifs (comme la régression linéaire), avec détection d’anomalies. Les données utilisées pour entraîner les modèles pourront provenir de centaines d’applications de relation clients disponibles en mode SaaS (Software as a service).

Le rôle des widgets et la personnalisation

Ce type de solution utilise généralement des ‘widgets’ (boutons, ‘pop-up’, etc.), ces petits modules interactifs insérés dans les pages Web ou dans les applications permettant d’afficher des informations ou de fournir des fonctionnalités sans ouvrir une nouvelle page. Ils enregistrent les interactions des utilisateurs (clics, déplacements de souris, temps passé sur chaque section), ce qui permet de comprendre le comportement du client. Certains widgets adaptent directement le contenu (recommandations de produits) en fonction des interactions de l’utilisateur ; d’autres incluent des fonctions de ‘chat’ ou questions posées en direct ou des formulaires de feedback, afin de mieux cerner les besoins du client.

L’objectif n’est donc pas seulement d’améliorer la mesure de la satisfaction client avec des tableaux de bord sophistiqués, mais d’en faire une « démarche continue, précise et opérationnelle », permettant d’apporter des correctifs en se rapprochant d’une personnalisation très poussée.

Cette démarche vers la personnalisation n’est pas synonyme de manipulation, aussi longtemps que la transparence reste de rigueur. Ce sont là des points-clés de l’éthique du marketing numérique et du respect du client. Les perspectives de « l’hyper-personnalisation » n’interrogent pas seulement sur la confidentialité des données. Elles posent aussi la question du climat de confiance entre les marques et leurs clients qui resteront ou non fidèles.

Pierre MANGIN