France : une reprise économique au conditionnel
La conjoncture pandémique n’empêche pas l’Insee d’imaginer, pour 2022, la poursuite de la reprise économique, une baisse du chômage et une hausse des salaires et du pouvoir d’achat, tempérée par le risque inflationniste.
Avis de turbulences. Il est périlleux de tenter une analyse de la conjoncture à un moment où celle-ci est sur le point de basculer. Alors que l’épidémie s’annonçait de plus en plus difficile à contrôler, l’Insee a intitulé sa note trimestrielle, publiée à la mi-décembre, « Reprise sous contraintes ». La reprise, en fin d’année 2021, est bien tangible. L’activité a progressé de 3% entre juillet et septembre, un chiffre trimestriel exceptionnel, tiré par la consommation des ménages, qui a bondi de 4,9%. La campagne de vaccination, qui a permis de passer la quatrième vague épidémique sans encombres au cours de l’été, s’est également traduite par une hausse de la consommation publique, puisque l’Etat achète les outils nécessaires à la mesure et à la réduction de la pandémie. En outre, « le retour, même partiel, du tourisme international, a favorisé le dynamisme des exportations », écrivent les conjoncturistes.
Au quatrième trimestre 2021, toujours en cours au moment où l’Insee a rédigé sa note, la consommation des ménages « ralentirait après son vif rattrapage au trimestre précédent ». Les consommateurs ont continué à profiter des restaurants, des voyages et des loisirs, mais semblent avoir étanché leur soif d’appareils électroniques, tandis que les ventes de voitures baissaient. Jusqu’en novembre, les enquêtes de conjoncture auprès des dirigeants d’entreprises, qui déterminent le « climat des affaires », consignaient un certain optimisme. Aussi bien pour l’industrie manufacturière, que le bâtiment ou les services, l’indice atteignait le plus haut niveau depuis l’été 2017. En conséquence, l’Insee prévoit pour 2021, comme la Banque de France, une croissance de 6,7%, qui fait suite à une récession de 8% en 2020.
Les conjoncturistes estiment que la reprise va se poursuivre début 2022, « en faisant
l’hypothèse qu’à cet horizon, les restrictions sanitaires ne se durciraient pas davantage », précisaient-ils tout de même. Comme souvent, l’usage du conditionnel permet aux rédacteurs de la note de conjoncture de se prémunir contre les aléas. La consommation des ménages se porterait à un bon niveau, tirée par les secteurs ayant le plus souffert depuis mars 2020. L’Insee estime l’acquis de croissance, défini comme la croissance annuelle qui serait observée si le PIB était stable aux troisième et quatrième trimestres, à 3% pour 2022. Cela permettrait d’effacer totalement l’impact de la pandémie.
Difficultés d’approvisionnement et de recrutement
Après la reprise, voici maintenant les contraintes, qui sont de plusieurs ordres. Bien sûr, les conjoncturistes ignoraient, au moment de la rédaction de la note, la tournure qu’allait prendre la cinquième vague de la pandémie et l’expansion du variant Omicron. En revanche, les difficultés d’approvisionnement étaient beaucoup plus prévisibles. Selon les enquêtes de conjoncture, les premiers signes de pénurie sont apparus dans le secteur des matériels de transport dès le printemps 2021, avant de concerner en fin d’année une part importante de l’économie, aussi bien l’agroalimentaire que les biens d’équipement ou le bâtiment. Les craintes des chefs d’entreprise, qui se situaient fin 2021 « à des niveaux jamais atteints depuis 1991 », se répercutent aussi sur les échanges de produits manufacturés, exportations comme importations. En Europe, la France est moins touchée que l’Allemagne, mais davantage que l’Espagne ou l’Italie.
Les employeurs font également valoir leurs difficultés à recruter, ou à conserver leurs salariés. Dans les services, 20% des entreprises déclarent « l’insuffisance de main d’œuvre comme facteur limitant la production », et cette proportion atteint le double dans la construction. Ces « difficultés d’offre » alimentent « des tensions sur les prix de vente », indique l’Insee. La part des industriels qui s’attendent à une augmentation de leurs prix bat, fin 2021, le précédent record datant de 2011. La hausse des prix touche, là encore, tous les pays occidentaux, à commencer par les Etats-Unis. En France, « le glissement annuel des prix, nul en décembre 2020, a atteint 2,8% fin novembre 2021 », indique l’Insee.
Les raisons de cette inflation sont bien connues. Au cours des derniers mois, « la demande mondiale de biens a rebondi vivement, alors que l’offre reste contrainte ».
Début 2022, l’inflation se maintiendrait à ce niveau, à condition toutefois que les prix des matières premières demeurent stables. Le poids de l’alimentaire et des biens manufacturés dans l’augmentation des prix aurait par ailleurs tendance à progresser. Le sujet a été identifié, au gouvernement, comme particulièrement sensible. Dès la fin octobre, le principe d’une « indemnité inflation » de 100 euros, versée aux personnes percevant moins de 2 000 euros net mensuels, a été acté. Début 2022, les salaires devraient pourtant continuer à progresser, en raison de la revalorisation du Smic au 1er janvier, mais aussi des négociations internes aux entreprises, où les difficultés de recrutement et l’inflation font pencher la balance du côté des salariés.
Si le pouvoir exécutif craint d’être pénalisé, lors des prochaines échéances électorales, sur le terrain du pouvoir d’achat, il pourra en revanche se prévaloir des bons résultats sur le front du chômage. Stabilisé à 8,1% de la population active au troisième trimestre 2021, le taux de chômage devrait encore baisser début 2022, jusqu’à 7,6% en juin, s’avance l’Insee. La proportion de personnes actives sans emploi avait atteint son point maximal fin 2015, à près de 10,5%.
Enfin, les conjoncturistes signalent que l’économie française dispose encore d’une réserve, celle de l’épargne accumulée pendant les confinements. Le taux d’épargne, redescendu depuis le printemps, se situe encore à 16%, un point au-dessus du niveau auquel il stagnait avant 2020.