La consommation hygiène-beauté, transformée par la crise ?
Depuis le début de la crise du coronavirus, les Français ont acheté beaucoup moins de produits hygiène-beauté dans les supermarchés. Au delà d’un impact ponctuel sur le secteur, de nouvelles pratiques de consommation s’esquissent.
Dans les grandes surfaces, le rayon hygiène-beauté, déjà en souffrance, pâtit du contexte de la pandémie. D’après IRI, spécialiste des études de marché, entre mi-mars et mi-avril, le marché a baissé de 17%, par rapport à la même période de l’année précédente. En 2019, ce marché pesait 6,4 milliards d’euros. A présent, toutes les grandes familles de produits hygiène corporelle, soins du visage et capillaires, sont concernées par la baisse. Attention toutefois aux explications faciles. «Ce qui explique la baisse de la consommation, c’est principalement le fait que, classiquement, des opérations promotionnelles se déroulent entre mi-mars et mi-mai. Or, les seules qui se sont déroulées avant le confinement sont celles de Super U et Carrefour, les autres ont été annulées ou reportées», explique Emily Mayer, directrice d’étude chez IRI. Plusieurs autres facteurs s’ajoutent à celui-ci, pour engendrer une baisse du marché. En particulier, «l’hygiène beauté est un rayon ‘arbitrage’, en cas de crise. Déjà, en 2008, durant la crise financière, les ventes avaient baissé. Or, en ce moment, les Français, qui prennent leurs repas à la maison, ont vu considérablement augmenter leur panier moyen, pour l’alimentation. Les produits d’hygiène beauté font office de variable d’ajustement. Ils sont vus un peu comme des achats plaisirs, à l’image des bouteilles de champagne, lesquelles sont aujourd’hui délaissées», ajoute Emily Mayer.
Dernier point, il existe un effet confinement. Lorsque l’on télé-travaille, le maquillage, par exemple, devient moins utile. Et une enquête Ifop publiée par le Figaro, le 21 avril dernier, a par ailleurs mis en lumière le fait que 61% des hommes pratiquent une toilette quotidienne durant le confinement, contre 71% auparavant. «Il faut espérer que les opérations promotionnelles prévues soient reprogrammées, autrement, l’année risque d’être très mauvaise pour le secteur. L’an dernier, le marché a déjà diminué de 2,1%, faisant suite à quatre années consécutives de baisse», conclut Emily Mayer.
Maquillage nouveau genre, version apéro-Facebook ?
Reste qu’au delà de la baisse généralisée du secteur, les ventes de certains types de produit dégringolent, mais d’autres – traditionnellement délaissés par les consommateurs-connaissent des pics d’achats… Autant d’évolutions qui pourraient préfigurer d’autres formes de consommation. Au rayon des baisses les plus fortes, figurent notamment les déodorants (-35% sur la période), les laques (-50%), les eaux de toilette (-47%) et le maquillage (-62%). A l’inverse, comptent parmi les grands gagnants, par exemple, les produits pour le bain (+15%), ceux dépilatoires (+ 42%), en raison de la fermeture des instituts de beauté, mais aussi les teintures pour les cheveux, (+32%) ou encore les savons (+ 99%). «La demande de certains de ces produits devrait se poursuivre dans le temps, même si à un niveau moindre que les pics actuels. Même après la réouverture des salons de coiffure, les colorations à domicile resteront une proposition intéressante pour les consommateurs ayant découvert ces produits pendant la période de confinement. La demande concernant les produits essentiels d’hygiène, comme les savons, les gels hydroalcooliques ou encore le soin des mains devraient s’inscrire durablement dans la routine des Français», analyse Martin Crosnier, directeur des marques grand public du groupe L’Oréal.
Par ailleurs, les modes de vie après le confinement, transformés par cette première expérience, et dont on connaît encore mal les contraintes à venir, pourraient aussi générer des demandes de produits nouveaux, ou transformés. «Le besoin de prendre soin de soi, de son hygiène et de sa beauté va rester fondamental, même si le mix au sein des différentes catégories pourra être amené à évoluer. Nous réfléchissons à de nouveaux gestes beauté, adaptés aux nouvelles pratiques sociales qui émergent avec la crise que nous connaissons», précise Martin Crosnier. L’impératif du port du masque risque d’être fatal au rouge à lèvres. A l’inverse, de nouvelles gammes de maquillage vont-elles voir le jour, spécifiquement adaptées aux contraintes des apéro-Facebook ? C’est déjà le cas avec les selfies…
Anne DAUBREE