La pandémie et le e-commerce mettent à mal les transporteurs routiers
Les transporteurs routiers ont subi la crise, et s’inquiètent pour 2021. D’autant que l’essor du e-commerce a montré que seule une partie de ces professionnels sont aptes à travailler pour ce secteur qui demande une forte digitalisation.
L’essor du e-commerce durant la crise ne doit pas faire illusion : les transporteurs routiers de marchandises ont souffert et ils sont inquiets pour l’avenir. Le 19 novembre, lors d’une conférence de presse, bp2r , spécialiste du conseil en optimisation transport, a rendu public son sondage annuel sur la conjoncture du Transport routier de marchandises (TRM).
Premier constat, plus de la moitié des transporteurs déclarent avoir perdu des volumes. « C’est la pire situation qu’on ait connue depuis dix ans », estime Alexandre Vienney, manager chez bp2r. Le constat est particulièrement prégnant pour le transport non-alimentaire. Durant l’année, le chiffre d’affaires a fluctué de manière très importante en fonction de la situation sanitaire, avec un record de baisse atteint au mois d’avril, marqué par le confinement ( -39,6%) et un été revenu quasiment à la normale. Toutefois « il n’y a pas eu de compensation après le confinement », note Alexandre Vienney. Résultat, qu’il s’agisse d’investissements ou de recrutement de chauffeurs, les entreprises du secteur ont fait preuve « d’attentisme » et de « prudence », commente le manager : « C’est très net. 56% des entreprises déclarent qu’elles n’ont pas recruté. Nous sommes très loin de la pénurie de chauffeurs qui faisait trembler tout le monde en 2017-2018 (…). On observe la même tendance pour les investissements. Mais ces dernières années, les entreprises avaient mis à profit leur meilleure santé financière pour renouveler leur parc. Il y avait donc une tendance attendue, que la crise du Covid a probablement précipité », analyse-t-il.
Problème, pendant la crise, le nombre de conducteurs et de poids lourds en activité a été inférieur par rapport à l’année précédente, mais cette diminution a été moindre que celle des volumes. Conséquence, « il y a eu une baisse de la productivité très significative sur ces trois mois », pointe Alexandre Vienney. La conjonction de ces dynamiques dessine un cadre inquiétant, celui d’un retour à la surcapacité des entreprises, par rapport à la demande du marché. En 2017,14% des entrepreneurs estimaient que le marché était en surcapacité, contre 36% en 2020. « La situation est difficile pour beaucoup de transporteurs. De nombreuses petites entreprises travaillent en sous-traitance. Si elles venaient à avoir des difficultés financières graves, des faillites, on pourrait assister à un retournement du marché », estime l’expert.
La digitalisation, clé pour l’avenir ?
Pour l’instant, cette tendance ne se vérifie pas dans la trésorerie des entreprises, sans doute en raison des mesures d’urgence prises par le gouvernement ( chômage partiel, PGE, prêt garanti par l’État…), d’après bp2r. Pour autant, 42% des transporteurs considèrent que leur situation financière est que pire celle de l’an dernier. « Le sentiment général est franchement mauvais (…). Un certain nombre d’entreprises, et même des réseaux importants, sont très inquiets, car même si le e-commerce les a protégés de la crise, ils ont des coûts fixes très importants et des contraintes financières très fortes », pointe Alexandre Vienney.
Problème supplémentaire, les transporteurs prévoient une augmentation de leurs coûts pour l’an prochain. En particulier, ils doivent intégrer des surcoûts liés à la crise. Ces derniers sont difficiles à évaluer, mais bp2r a retenu plusieurs éléments qui vont contribuer à alourdir le budget des entreprises : les mesures sanitaires proprement dites (achat de matériel, temps passé à nettoyer les cabines des camions…), le versement des primes d’activité durant le confinement, la baisse d’activité et surtout, le plus important, l’accroissement du nombre de parcours à vide, engendrés par la désorganisation des plans de transports, et dont l’optimisation garantit le niveau de productivité. Or, d’après le sondage, les transporteurs, soucieux de conserver leur clientèle, ne prévoient pas d’augmenter leurs tarifs dans les proportions de l’augmentation des coûts attendus.
Une situation qui ne les stimulera pas à réaliser des investissements, notamment dans le domaine informatique. Il s’agit pourtant de l’un des grands enjeux du secteur, clé d’entrée pour accéder au marché du e-commerce. « Nous avons assisté aux première loges à l’essor du e-commerce. A partir du moment où les volumes ont commencé à exploser, nous nous sommes aperçus qu’il y avait un manque d’offre sur ce segment. Mais tout le monde ne peut pas y aller. Le ticket d’entrée est très élevé, en matière de stratégie, de ressources et de transformation digitale », analyse Alexandre Vienney. D’après le sondage, 30% des transporteurs sont aujourd’hui présents sur ce marché.
Anne DAUBREE