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Le harcèlement au travail gagne du terrain

Ces quinze dernières années, le harcèlement au travail est passé d’un sujet quasi « inexistant » à un sujet reconnu juridiquement (ANI 2010), omniprésent sur les réseaux sociaux (#metoo, #balancetonporc, #balancetonagency) et quotidiennement discuté dans les médias. Mais qu’en est-il au sein des entreprises? Six mois après le lancement de la loi Santé au travail, le baromètre Ipsos pour le cabinet Qualisocial* fait le point.

Camy Puech
Camy Puech

« Joli décolleté, ils ont de la chance au marketing », une main aux fesses, des blagues crues à connotation sexuelle racontées tous les jours dans l’open space… Agissements sexistes répétés, agressions ou harcèlement sexuels, toutes ces situations relèvent du harcèlement au travail. Deux salariés sur trois déclarent avoir été victime d’une telle situation, au cours des cinq dernières années. Des agissements qui sont dorénavant soumis à des sanctions pour leurs auteurs, suite au renforcement de la définition du harcèlement : une peine de deux ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros.

Le plus courant reste le harcèlement moral (68%), devant des comportements ou propos discriminatoires (30%) et le harcèlement sexuel (20%). « Il y a un vrai problème terrain », a entamé Camy Puech, PDG de Qualisocial et spécialiste de la santé mentale au travail, lors de la présentation des résultats du baromètre Ipsos pour Qualisocial, cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux en entreprise. Au sein des entreprises, trois salariés sur quatre considèrent que les situations de harcèlement au travail sont répandues et 62% qu’elles le sont de plus en plus.

En termes de chiffres, plus d’un salarié sur trois a déjà été victime de harcèlement au travail, dont 15% à plusieurs reprises. 40 % affirment en avoir été témoins et 13 % ont le sentiment d’avoir été auteurs de harcèlement au travail, au cours de leur carrière. Des situations qui se produisent les trois quarts du temps en présence de témoins, mais qui suscitent rarement des réactions immédiates. « C’est un problème de société, commente Camy Puech. C’est toute la société qui a des comportements ouvertement irrespectueux et dégradants qui s’apparentent à du harcèlement ». Seule une victime de harcèlement sur cinq est soutenue sur le moment. Dans la majorité des situations avec témoins, les victimes rapportent que ces derniers n’ont pas réagi (53%), et s’ils l’ont fait, c’est le plus plus souvent après (25%) que sur le moment (22%). Si 85% des victimes parlent de cette situation, avec des proches ou des collègues « qui ont des capacités d’action limitées », note Camy Puech, ils le font en revanche rarement avec des instances internes (supérieur, RH…), qui elles pourraient influer sur les comportements dans l’entreprise.

Les managers intermédiaires en première ligne

Ainsi, seules 34% des victimes de harcèlement au travail déclarent que leur employeur a été, à un moment donné, au courant de la situation. Certaines catégories d’actifs sont particulièrement touchées et indiquent avoir déjà été victimes, notamment les moins de 35 ans (43%), les salariés de petites entreprises (38% des salariés d’entreprises de moins de 20 salariés, contre 31% dans celles de 200 salariés et plus) et les femmes (38%), même si les hommes sont loin d’être épargnés (31%). Les managers peinent eux aussi à identifier les situations relevant du harcèlement au travail. Plus grave, 60% de ces situations seraient initiées par un supérieur hiérarchique et 36% des managers ont le sentiment d’avoir déjà été auteur de harcèlement dans leur carrière. « Il y a un vrai sujet sur la ligne hiérarchique intermédiaire », qui est à la fois « la plus victime, la plus témoin et la plus auteur de situations de harcèlement », relève Camy Puech.

Enjeu prioritaire dans le monde du travail

Cette première photographie du harcèlement dans les entreprises donne à voir le niveau de connaissance du sujet au sein de ces entités. 44% des salariés déclarent ne pas être bien informés sur cette thématique et seuls 14% se disent très bien informés. Un défaut d’information qui se traduit, chez la plupart d’entre eux, par un sentiment de difficulté à identifier avec précision les situations de harcèlement au travail (73%). « Les salariés ne sont pas capables d’adapter leur comportement, car ils ne savent pas ce qui relève ou non du harcèlement », commente Camy Puech. 43% des salariés ont un niveau « quasi nul » sur le sujet et seuls 4% le maîtrise bien. Un tiers d’entre eux rapportent qu’il existe une communication en direction des salariés sur ce qu'est le harcèlement au travail ou les réactions à avoir ou les personnes à prévenir, en ce cas.

Si la dégradation des relations au travail, et notamment les situations de harcèlement, est perçue comme un enjeu prioritaire dans le monde du travail, par plus de la moitié des salariés (54%, contre 41% pour le chômage, par exemple), une large majorité estime que le gouvernement n’en fait pas assez à ce sujet (63%). Avec des différences notables en termes de genre : 50% des hommes considèrent que la législation va un peu trop loin et 64% des femmes, au contraire, qu’elle ne va pas assez loin.

En termes d’âge, « Il y a une tolérance zéro des jeunes générations sur le sujet », affirme Camy Puech. En outre, seulement 35% des salariés déclarent bien connaître la législation en matière de harcèlement au travail. Autre signe alarmant constaté par l’étude, seul un quart des victimes considère qu’au final cette situation s’est terminée en défaveur de l’auteur (contre 42%, en leur propre défaveur), signe que l’enjeu du harcèlement nécessite encore un meilleur traitement, au sein des structures de travail. Relevant le « déficit d’infrastructures pour éduquer et protéger les salariés », le cabinet Qualisocial recommande ainsi de former les dirigeants et les managers sur leurs pratiques du quotidien et de sensibiliser tous les salariés. Au-delà, les entreprises ont intérêt à désigner des référents, à « mettre en place un dispositif de signalement avec soutien psychologique » et à « accompagner psychologiquement les salariés victimes comme les présumés coupables », et enfin à « mener des enquêtes, face à chaque signalement ».

*Enquête « Les salariés français et le harcèlement au travail : connaissance, perception et avis ? », menée via Internet du 15 au 19 septembre 2022, auprès de 2 000 actifs travaillant dans une structure privée ou publique d’au moins cinq personnes.


Charlotte DE SAINTIGNON