Mobilités

Le marché morose du vélo

Après des années de hausse, les ventes de vélos affichaient, en 2023, un fort recul. Malgré des stocks fournis, les prix sont restés à un niveau élevé, et les consommateurs se tournent vers le marché de l’occasion. Le secteur conserve son optimisme grâce à la hausse continue de la fréquentation des axes cyclables.

L'usine Moustache, à Thaon les Vosges, en juillet 2023 (© Olivier RAZEMON)
L'usine Moustache, à Thaon les Vosges, en juillet 2023 (© Olivier RAZEMON)

La fin de la vélomania ? En 2023, les ventes de vélos ont connu un recul brutal, tel que le secteur n’en avait pas enregistré depuis au moins dix ans. Selon les comptes de l’organisation professionnelle Union sport et cycle (USC), publiés le 29 avril, il s’est vendu en France, en 2023, 2,2 millions de vélos neufs, 360 000 de moins que l’année précédente, soit une baisse de 14%. En valeur, la baisse est moindre, 8%, et seulement 5,5% si on tient compte des accessoires et de la maintenance. En outre, pour la première fois depuis 13 ans, indique Jérôme Valentin, vice-président d’USC et PDG de l’entreprise Cycleurope, installée à Romilly-sur-Seine (Aube), « le marché du vélo à assistance électrique recule ». Jusqu’alors, les distributeurs pouvaient compter sur les recettes de ce segment, plus rémunérateur. La perte, en volume, atteint 9% par rapport à 2022. Pour les vélos classiques, sans moteur, elle est encore plus nette, 16%.

Le repli est un coup dur pour les distributeurs comme les assembleurs, dont les usines fabriquent des objets à partir de pièces détachées importées. « On savait que l’année serait dure, mais on ne s’attendait pas à boire le bouillon à ce point », confie un industriel. La France n’est pas une exception. Dans les pays voisins, les ventes connaissent une déconvenue équivalente, -5% au Royaume-Uni, -13% en Belgique ou -15% en Allemagne. Aux Pays-Bas, où un tiers des déplacements du quotidien se font à bicyclette, le marché chute de 6%. Le secteur, qui avait enregistré de nombreuses créations d’entreprises ces dernières années, découvre les faillites. L’an dernier, la disparition du constructeur néerlandais Van Moof, spécialisé dans le haut de gamme, a marqué les esprits. Par ailleurs, les ventes de trottinettes électriques sont également en recul. En 2023, 678 000 engins ont été écoulés en France, 11% de moins qu’en 2022, selon la Fédération des professionnels de la micromobilité, qui a publié son bilan annuel, le 16 avril dernier.

Le prix moyen toujours en hausse

Pour les professionnels, cette morosité du marché s’explique d’abord par l’abondance des stocks, qui « excèdent les besoins de 142%, précise Denis Briscadieu, président du réseau de distribution Cyclelab. Il faudra un an pour écouler cette production ». Pour l’industriel Jérôme Valentin, la politique attentiste des détaillants n’a pas aidé : « Les assembleurs français et allemands ont fait des promotions, mais les distributeurs ne les ont pas répercutées sur les prix. On aurait pu vendre un peu plus », estime-t-il.

Cela n’aurait sans doute rien changé à la tendance de fond. Ces dernières années, les ventes ont connu « les montagnes russes », admet Jérôme Valentin. Pour mémoire, dopés par l’envie de vélo manifestée par les citadins après les confinements, les industriels avaient tout fait, en 2021 et 2022, pour produire davantage, même lorsqu’il était compliqué d’importer des composants d’Asie du sud-est. Dans le même temps, des assembleurs « made in France » se targuaient de participer à l’élan de réindustrialisation. Mais au prix fort. Certaines marques n’ont pas hésité à vendre des modèles de ville à assistance électrique plus de 5 000 euros. La « pénurie » de vélos, un temps redoutée, a vite été oubliée. Les industriels sont-ils allés trop loin ? Le prix moyen des vélos neufs ne cesse de progresser, passant de moins de 500 euros en 2016 à 978 euros en 2023.

Or, il existe de plus en plus d’alternatives au neuf : le libre-service proposé dans des stations dédiées par les collectivités, les locations ponctuelles de vélos-cargos ou de vélos allongés, le « free-floating » déposé par des start-up dans l’espace public, ou les vélos de fonction offerts par les employeurs à leurs salariés. « 650 000 salariés sont éligibles à des services proposés en entreprise », assure Jérôme Valentin.

Les modèles à assistance électrique reconditionnés par des entreprises spécialisées rencontrent un grand succès. « Le vélo est réparable. Il se répare deux fois plus de vélos qu’il ne s’en vend de neufs », rappelle André Ghestem, ancien président du sous-traitant Shimano en France et directeur de la commission « cycles » à USC.

Le secteur se rassure avec des indicateurs positifs. Le gouvernement a lancé, fin avril, un « appel à projet » de 55 millions d’euros destiné à l’industrie du vélo. La fréquentation des axes cyclables a encore progressé de 5% en 2023, selon Vélo et territoires, une association d’élus locaux. Les collectivités continuent à aménager des pistes cyclables, qui facilitent l’usage de ce mode de déplacement, par les personnes comme les marchandises. « Un tiers des déplacements urbains comportant des charges lourdes pourraient être effectués en vélo-cargo », affirme Yolaine Urvoy, co-directrice des Boîtes à vélo, une association qui rassemble les entreprises faisant de la bicyclette leur principal moyen de déplacement. Les villes ne sont pas seules concernées. En décembre dernier, un webinaire technique consacré à la réalisation des « aménagements cyclables hors agglomération » rencontrait un vif succès auprès des techniciens, élus ou consultants. « Nous avons enregistré plus de 2 000 inscrits, un record », indiquait son organisateur Thomas Jouannot, au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Optimiste, Jérôme Valentin espère désormais « une amélioration au printemps 2025 ».

Olivier RAZEMON