Le numérique, vital et dangereux dans la crise
Qui peut imaginer ce qu’aurait été le confinement sans Internet ? Les infrastructures ont résisté durant la crise. Mais le numérique a aussi creusé les inégalités et pose d’immenses problèmes de souveraineté, d’après France Stratégie.
La réponse «Internet a tenu» : c’est le premier constat des analystes de France Stratégie, centre de réflexion du gouvernement, dans le cadre d’un document intitulé : «Covid-19 : pour un «après» soutenable». Dans son analyse des enjeux mis en lumière par la crise, l’étude note que «le numérique a jusqu’ici été le garant du maintien du fonctionnement de notre société.» Tous ses usages ont été poussés au maximum durant le confinement. Le télétravail a été multiplié par sept, les visioconférences par deux. Les réseaux ont permis le maintien du fonctionnement des infrastructures (transports et énergie), des principaux circuits logistiques, des services de livraison,… Ils ont aussi garanti la continuité pédagogique des enfants privés d’école. Et via les réseaux sociaux et l’accès à des contenus de culture et de divertissement, ils ont aussi donné aux 67 millions de confinés la possibilité de conserver des liens avec leurs proches et de rester ouverts sur le monde.
Près d’un million d’élèves ont «décroché»
Au-delà de ce premier constat positif, toutefois, force est de constater que l’importance prise par le numérique dans le confinement a accentué plusieurs inégalités existantes, territoriales (pour les zones blanches), et sociales. Par un mécanisme pervers, la dématérialisation des services publics a constitué une barrière pour certains citoyens, lorsque les services physiques n’étaient pas maintenus, au moment précis où ils devenaient encore plus nécessaires. Exemple : l’éducation. Jusqu’à près d’un million d’élèves, souvent de condition modeste, auraient «décroché» durant le confinement. Dans le monde du travail aussi, la bascule vers le numérique souligne les précarités qui se sont développées les dix dernières années. En particulier, «aujourd’hui, le travail à distance protège. Il protège physiquement du virus et il garantit le maintien d’une rémunération et d’un statut. En revanche, les salariés qui ne peuvent exercer leur activité à distance sont placés automatiquement dans une situation de précarisation accélérée», analyse le rapport.
Péril sur la souveraineté nationale
Autre problème, «la crise révèle une dépendance dangereuse de tous les secteurs de l’économie et de l’administration à des technologies étrangères», poursuit France Stratégie. Dans le secteur public, en effet, des agents qui n’ont pas trouvé dans leur administration les outils numériques qui répondent à leurs besoins ont basculé vers d’autres, qui stockent les données sur des serveurs soumis à des législations étrangères… Une pratique déjà fréquente chez les TPE et les PME. La gestion même de la pandémie interroge aussi l’utilisation du numérique, en matière de données personnelles, comme le montre le débat autour de l’application Stop Covid, prévue par le gouvernement. Le rapport alerte sur «ces firmes multinationales (qui) ne manqueront pas de profiter de la faiblesse des États pendant la crise, mais surtout à la sortie de la crise.» Exemple avec Palantir, spécialiste américain du renseignement, qui pèse 20 milliards de dollars : il vient de proposer aux gouvernements européens une solution technologique de surveillance de la pandémie. Peut-on imaginer laisser participer une telle entreprise à des missions régaliennes ?
Anne DAUBRÉE