Le transport public cherche ses passagers

Moins de clients, mais une offre à étoffer. Les transports publics sont pris en tenaille entre la faible fréquentation et la nécessité de reconquérir des passagers. Arguant de leur vertu pratique et écologique, les opérateurs réclament des promesses d’investissement aux candidats à la présidentielle.

Le tram de Toulouse
Le tram de Toulouse

Voici une stratégie commerciale, convenons-en, difficile à défendre : les clients boudent, mais il faut leur proposer davantage de prestations. Tel est le dilemme auquel sont confrontés les opérateurs de transports publics. Les chiffres de « l’Observatoire de la mobilité », dévoilé le 25 novembre par l’Union des transports publics (UTP), qui réunit 170 entreprises du secteur, sont cruels. Seules 60% des personnes interrogées par le sondeur Ifop affirment qu’ils empruntent régulièrement les transports. En 2019, cette proportion atteignait 73%, après une décennie de progression.

L’enquête, pour 2021, remonte pourtant au mois de septembre, à une période où les chiffres du covid auguraient une amélioration durable et où les salariés étaient invités à reprendre le chemin du bureau. «Tous les moyens de transport sont touchés à peu près de la même manière», observe Thierry Mallet, PDG de l’opérateur Transdev et vice-président de l’UTP : le bus, utilisé par 69% des sondés, le métro (47%) ou le train (20%). Parallèlement, le vélo et la marche sont plus populaires qu’avant le covid, mais «leur part modale reste modeste», observe la fédération professionnelle. La sentence se lit dans les comptes. Pour 2020, les pertes de recettes tarifaires des opérateurs atteignent 40% par rapport à 2019, et pour 2021, 20%, concède l’UTP.

Par ailleurs, selon le même « observatoire », les usagers seraient disposés à emprunter davantage le bus, le tram ou le métro si ceux-ci passaient plus souvent (84%), desservaient un territoire plus vaste (77%) ou circulaient plus tôt le matin et plus tard le soir (64%). Autrement dit, pour faire revenir les clients, «il faut un choc d’offre», résume Thierry Mallet. Et donc des investissements supplémentaires.

Dès lors, les opérateurs s’adressent, comme il est de coutume à cette période du débat démocratique, aux candidats à l’élection présidentielle. Le manifeste qu’ils ont rédigé, intitulé «Donnons enfin la priorité aux transports publics», contient 20 propositions. Le secteur réclame un soutien financier et politique afin d’encourager le report des usagers de la voiture aux transports publics, des efforts pour renforcer l’accessibilité des réseaux, une billettique commune, ou encore une taxation des livraisons par voie routière. Ce pot-pourri des propositions lancées par les transporteurs depuis le début du quinquennat présente la particularité de ne surprendre personne. Mais il a l’avantage de la constance.

Un outil contre la congestion et le temps perdu

Il y a quelques années encore, l’UTP vantait, de manière très consensuelle, les atouts du secteur sur le plan environnemental. Mais récemment, l’organisation professionnelle a adopté un ton plus offensif à l’égard de son principal concurrent, la voiture individuelle. En effet, si la fréquentation des transports publics a décliné depuis le début de la pandémie, l’usage de la voiture a progressé, passant de 81% à 85% des trajets entre 2019 et 2020, a calculé l’UTP à partir des données publiques disponibles. Entre 2020 et 2021, la congestion automobile s’est accrue de 25% en Ile-de-France, de 38% à Marseille et 85% à Lille, indiquent les régulateurs du trafic que sont le service national Bison futé et le fabricant de GPS TomTom.

Les opérateurs insistent sur le temps que gagnent leurs passagers. Selon l’Ifop, 42% d’entre eux utilisent leurs déplacements à se divertir, par la lecture, les jeux ou des vidéos, 37% se reposent, et 6% travaillent. Parallèlement, ceux qui se déplacent en voiture, invités à détailler les raisons pour lesquelles ils pourraient préférer les transports publics, citent principalement «les difficultés de stationnement» ou «l’augmentation des embouteillages». L’UTP insiste en outre sur les conséquences du trafic automobile. «Le transport contribue à 31% des gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique provoque 48 000 morts par an, en France», rappelle l’organisme.

En attendant la fin hypothétique de la pandémie, les transporteurs cherchent à identifier les raisons fondamentales de la désaffection dont ils font l’objet. Le développement du télétravail serait, selon eux, «à relativiser», car «une grande partie des emplois ne sont pas concernés ». Au sujet de l’exode urbain, le départ des habitants des grandes villes vers des lieux de vie moins encombrés, ils affirment qu’«aucun chiffre ne l’atteste». Si le phénomène se confirmait, l’UTP veut croire que «les actifs vont davantage utiliser les transports collectifs pour des distances plus longues, ce qui signifie plus de kilomètres à produire pour les opérateurs».

Reste la crainte du virus. L’Ifop a demandé à son échantillon d’indiquer «dans quels lieux le risque de contamination est le plus grand». Puisque des études scientifiques sérieuses ont été réalisées sur le sujet, les réponses ont moins vocation à apporter une connaissance qu’à s’enquérir de l’anxiété des voyageurs potentiels. Justement, celle-ci est forte. 64% des sondés estiment que c’est dans les transports en commun que le risque de contamination est le plus grand, contre seulement 43% pour les bars, 38% pour les repas de famille et 25% pour les restaurants. L’UTP dégaine alors une batterie d’études qui tendent à démontrer que les transports sont sûrs. «Le port du masque y est plus respecté qu’ailleurs, la durée des contacts avec d’autres personnes est brève, les transports sont ventilés régulièrement», affirment notamment les opérateurs. La vérité se situe sans doute entre les deux. Le 25 novembre, une enquête réalisée auprès de 18 000 personnes par l’Institut Pasteur montrait que la fréquentation des soirées privées, des bars et des discothèques multipliait la possibilité de contamination par trois ou quatre, mais que les transports n’étaient pas épargnés. Le métro et le train et le taxi présenteraient un risque supplémentaire de, respectivement, 20, 30 et 50%. En d’autres termes, vivement la fin de la pandémie.