L’économie en chute libre

Crédit Photos : O.RAZEMON
Paris mars 2020
Crédit Photos : O.RAZEMON Paris mars 2020

Commerces fermés, industrie au ralenti, déplacements limités, télétravail, chômage partiel… La pandémie de Covid-19 attaque férocement l’économie européenne. L’Insee évalue provisoirement l’impact de cette crise sans précédent à 3 points de PIB par mois de confinement. Soit vraisemblablement six points pour l’année.

 Frédéric et Kader (les prénoms ont été changés) se parlent, à bonne distance, dans la cour de l’immeuble parisien où ils résident. Tous les deux, chefs d’entreprise, ne peuvent que constater les dégâts. L’un dirige une société de conseil aux collectivités locales, l’autre tient un bistrot de quartier. Les études pourvues par le premier sont au point mort depuis le début de la campagne électorale et ne reprendront, au mieux, qu’avec l’élection des maires par les conseils municipaux. Le café du second a fermé ses portes le 14 mars au soir, conformément à la décision annoncée par le Premier ministre. Les deux entrepreneurs ne savent pas quand leur activité va pouvoir reprendre.

La crise historique imposée par la pandémie de Covid-19 commence à se matérialiser concrètement. Les bourses mondiales l’ont senti dès la mi-mars, lorsque les indices du monde entier ont commencé à dévisser de manière spectaculaire. Désormais, en France, des patrons de PME, éditeurs, restaurateurs, maraîchers, architectes, s’inquiètent pour la survie de leur activité ; des auto-entrepreneurs, livreurs, intermittents du spectacle, moniteurs de ski, ne sont plus en mesure de travailler. Les salariés des petites entreprises, ou des structures fragiles, se demandent s’ils conserveront leur emploi.

L’Insee a voulu mettre des chiffres sur ces inquiétudes. L’institut, qui devait diffuser sa traditionnelle note de conjoncture trimestrielle le 24 mars, a toutefois hésité avant de publier des estimations. D’abord parce «qu’il peut apparaître dérisoire de mesurer l’activité économique quand la préoccupation première est d’éviter une catastrophe sanitaire», a expliqué Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee. Et puis, dans les circonstances exceptionnelles que connaissent l’Europe et le monde, les prévisions économiques ne peuvent être que provisoires et aléatoires. Pour les établir, les conjoncturistes ont d’ailleurs dû recourir à des méthodes inédites. Outre les chiffres fournis par les entreprises et les fédérations professionnelles, ils ont récolté les données recensant l’utilisation des cartes bancaires ou la consommation d’énergie.

La crise de 1929, en pire

Et le couperet est tombé le vendredi 27 mars. Pour chaque mois de confinement, l’Insee imagine un recul de trois points du PIB annuel. «Cela me paraît un chiffre raisonnable», a réagi Bruno Le Maire, le lundi suivant. Bien sûr, les conjoncturistes assortissent cette «prévision» de nombreuses précautions. L’état de l’économie dépend en effet du «scénario de sortie de la crise sanitaire» que personne ne connaît à ce stade. L’effet des mesures prises par le gouvernement, qui visent à limiter les effets du «choc brutal», est impossible à quantifier. Enfin, les spécialistes se gardent bien de parier sur «le comportement des agents économiques» à l’issue de la crise. Pour le dire de manière imagée, une fois sortis du confinement, les ménages vont-ils multiplier les achats, fêter la liberté revenue dans les cafés et restaurants, rattraper le temps perdu ? Ou vont-ils, au contraire, continuer à épargner, comme ils en ont l’habitude, en prévision de difficultés plus grandes encore ?

Pour l’heure, l’Insee publie quelques données précises qui permettent de se faire une idée de la situation. Ainsi, la perte d’activité instantanée est estimée à 35%, ce qui «semble cohérent avec les premières informations disponibles sur la situation des salariés, dont un tiers environ serait en activité sur leur lieu de travail, un tiers en télétravail et le dernier tiers en chômage partiel». Par ailleurs, le climat des affaires, mesuré à partir d’un ensemble de sondages auprès de décideurs économiques, perd 10 points en mars, la plus forte baisse depuis la création de cet indice, il y a 40 ans. La chute est encore plus marquée dans le secteur des services (-14 points) ou dans le commerce de détail (-13 points), alors que les «commerces non essentiels» ont fermé le 15 mars.

La situation est encore amenée à s’aggraver, avec la prolongation probable du confinement. Les experts, qui comparaient la situation, la semaine du 16 mars, à la crise financière de 2008, font désormais le parallèle avec la crise de 1929. Les indicateurs économiques alarmistes se suivent jour après jour, parallèlement aux tristes décomptes sanitaires. Dimanche 29 mars, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, annonçait ainsi que « 220 000 entreprises avaient demandé le chômage partiel pour tout ou partie de leurs salariés, soit 65 000 de plus que la veille».

Dans cette ambiance totalement déprimante, certains décideurs tentent de tirer des leçons pour le monde d’après. A Grenoble, la municipalité a fait rouvrir les marchés, fermés, sauf exception locale, par une décision du gouvernement. Les étals sont très encadrés, le nombre de marchands limités, les clients également, et l’ensemble fait l’objet de contrôles réguliers. Le maire Éric Piolle (EELV), en ballotage favorable à l’issue du premier tour des éléctions, assume : «Nous voulons faire vivre les producteurs locaux, c’est bon pour notre santé et notre territoire», explique-t-il à la chaîne France Bleu.

Olivier RAZEMON