Les entreprises, voie d'intégration pour les réfugiés ?
De plus en plus d'entreprises s'engagent en faveur de la cause de l'insertion des réfugiés, pour laquelle une vie professionnelle apparaît déterminante. La démarche, civique, s'articule autour du constat selon lequel la migration est synonyme de déclassement professionnel. Un gâchis pour les intéressés et la société.
Est-il sorti de son registre légitime ? Pour Jean Lemierre, président de BNP Paribas, il était « évident » qu'il lui fallait agir, lorsqu'en 2015, un million de réfugiés sont arrivés en Europe. Le 3 décembre dernier, le banquier intervenait dans le cadre d'un séminaire consacré à « L'insertion professionnelle des réfugiés en France et en Europe, un défi pour le secteur privé ? » L'événement était organisé par la Fondation BNP Paribas, avec l'IFRI, Institut français des relations internationales, et le palais de Chaillot, à Paris, où se déroulait la rencontre.
A la base, le sujet des migrations est un « sujet explosif », qui pose des « questions politiques très difficiles », rappelle Fabienne Keller, députée européenne. L'essentiel des désaccords et tensions entre les Etats membres se nouent autour des problématiques de l'accueil. Toutefois, les institutions européennes ont également identifié l'importance de l'enjeu de l'insertion – y compris professionnelle- des réfugiés. Logiquement, celui-ci n'a pas échappé au monde de l'entreprise, concerné au premier chef. Ainsi, témoigne Jean Lemierre, « en 2015, lors d'un voyage en Allemagne, j'ai été frappé par l'extraordinaire mouvement des patrons. Ils n'avaient aucune hésitation, mettaient en place des dispositifs en utilisant les mécanismes d'apprentissage...Ce qui s'est passé là-bas est exemplaire. Le secteur privé a un rôle important à jouer. L'entreprise contribue à la citoyenneté : elle apporte du revenu, de l'insertion. Même si elle comporte aussi d'autres dimensions, elle est un lieu de sociabilité ». Des paroles qui se sont traduites en actes : à partir de 2015, la Fondation BNP Paribas a développé un programme de soutien aux réfugiés, doté d'environ 17 millions d'euros (jusqu'en 2024). Dans plusieurs pays européens, elle finance des associations qui proposent l'apprentissage de la langue locale, des outils digitaux et d'autres actions qui accroissent la capacité à intégrer un parcours professionnel. En France, elle finance Simplon, dont la formation, « Refugeeks » permettant d'acquérir une double compétence (maîtrise du français et des outils digitaux).
Parrainage de salariés et documentation technique
D'autres entreprises se sont engagées dans des actions en faveur de l'insertion des réfugiés. C'est en particulier le cas des membres du collectif « Refugees are talents » né en juin 2021. Une dizaine de grands groupes en appelle et se donnent comme objectif « l'intégration en entreprise des personnes réfugiées ». Parmi eux figurent notamment Accor, Barilla, Ikea France, L'Oréal, Adecco et Sodexo. Cette entreprise, par exemple, s'est engagée à recruter cinq réfugiés en 2019. Deux ans plus tard, quatre sont encore dans l'entreprise, en CDI. « Pendant quatre mois, ils ont été formés, y compris sur de la documentation technique de l'entreprise, et via un stage d'intégration », témoigne Alain Masson, directeur RSE de l'entreprise.
Une enquête de l'IFRI, menée auprès de responsables RH et RSE de sociétés qui s'engagent, montre une diversité des manières d'aborder le sujet. « Cette mobilisation est en général récente. Dans la majorité des cas, elle a débuté en 2015 et elle prend des formes variables », explique Sophie Bilong chercheuse à l'IFRI. D'après l'étude, dans certains cas, les entreprises entreprennent ces démarches dans le cadre de la RSE ou du mécénat. Par exemple, des salariés peuvent apporter leur expertise à une association ou accompagner des réfugiés qu'elle suit. Mais RSE et RH ne vont pas nécessairement de pair : l'entreprise n'embauche pas nécessairement de réfugiés. A contrario, dans d'autres cas, l'engagement d'une entreprise se concrétise par une adaptation de ses procédures de recrutement. Par exemple, via la diffusion d'offres d'emploi vers des associations spécialisées. Ou encore, par un accompagnement spécifique dans l'emploi de la personne réfugiée nouvellement embauchée. Ce suivi peut prendre la forme du parrainage d'un salarié de l'entreprise, ou de formations spécifiques qui conjuguent apprentissage du français et vocabulaire technique. Avec, sous-jacent, le souci de permettre à ces nouveaux salariés d'évoluer dans leur emploi. Quelle que soit la démarche adoptée, les entreprises s'adossent généralement à des associations. A l'image de Sodexo, qui a trouvé les candidats à l'embauche via « Forum réfugiés ». Plus largement, « nous nous sommes appuyés sur des associations, car il nous reste beaucoup à apprendre sur le sujet », note Alain Masson.
Miser sur le salariat ou la création d'entreprise
Aujourd'hui, nombre d'associations œuvrent pour l'intégration des réfugiés. En particulier, cette année, sept d'entre elles se sont réunies au sein d'un collectif « Work with refugees ». Lequel couvre les multiples facettes de l'inclusion (formation, transmission des codes sociaux, aide au recrutement, accompagnement après l'emploi, sensibilisation des managers au recrutement inclusif...). Parmi ces associations, figure Kodiko, qui a accompagné 700 réfugiés depuis sa création en 2016. Son objectif : leur permettre « d'être en lien avec les entreprises, afin de pouvoir s'approprier les codes socio-professionnels fondamentaux pour retrouver un emploi » , explique Cécile Pierrat-Schiever, directrice de l'association. Concrètement, le dispositif fonctionne sur la base d'un binôme : la personne réfugiée est reçue par un salarié d'une entreprise partenaire de l'association, qui partage avec elle expertise, connaissance du secteur et réseau, durant six mois. L'association insiste sur la dimension d'échange du programme, intitulé « co-training », les réfugiés étant également diplômés, qualifiés... Une autre association, Singa, mise sur l'entrepreneuriat en « incubant » des projets portés par des réfugiés...
A la base de toutes ces démarches, figure le constat d'un véritable gâchis de talents que dresse l'étude « l'emploi des personnes réfugiées. Des trajectoires professionnelles aux politiques de recrutement des entreprises » (IFRI, décembre 2021). D'après celle-ci, la migration est synonyme d'un véritable « déclassement professionnel ». Par exemple, entre la situation professionnelle de départ et d'arrivée de ces populations, on passe de 10 à 2% de cadres et professions intellectuelles supérieurs, et de 22 a 46% d'ouvriers. Un gâchis qui ne se fait pas seulement au détriment des intéressés, mais de la société entière : dans le classement Forbes Fortune 500 (2017) des 500 premières entreprises américaines, 43% ont été fondées ou co-fondées par des immigrés de première ou de deuxième génération. Dont Apple, Google, McDonald’s...