Les quartiers d’affaires sommés de se réinventer

Désertés en raison du télétravail et de la défection des touristes, les quartiers d’affaires internationaux subissent la crise de plein fouet. Les aménageurs songent à adapter les espaces de bureaux et remettent au goût du jour un concept oublié, la mixité fonctionnelle.


Crédit Photo : Olivier RAZEMON pour DSI  « Habituellement, 190 000 personnes arpentent chaque jour le quartier de la Défense, à Paris. Ils ne sont plus que 35 000 en ce moment »
Crédit Photo : Olivier RAZEMON pour DSI « Habituellement, 190 000 personnes arpentent chaque jour le quartier de la Défense, à Paris. Ils ne sont plus que 35 000 en ce moment »

Comment vont les quartiers d’affaires ? « L’époque est très excitante, nous devons saisir les opportunités ! », répond sur un ton enjoué l’architecte Sophie Henley-Price, spécialisée dans l’immobilier de bureaux. Ce bel enthousiasme est toutefois démenti par les circonstances dans lesquelles cette phrase est prononcée : une conférence en ligne organisée en décembre dernier par l’organisme Global Business Districts sur « le futur des quartiers d’affaires internationaux ». Les participants, depuis Chicago, Moscou, Dublin ou Paris La Défense, s’expriment sur fond d’open spaces étrangement calmes, vidés de leurs occupants habituels.

Tous, dans leur ville respective, reconnaissent que « les taux d’occupation des bureaux ne dépasse pas 20% », tandis que, en fonction des niveaux de restrictions, « les restaurants sont fermés », « la vente d’alcool est interdite », « le public boude les transports publics ». Les métropoles ambitionnant une destinée mondiale ont construit, ces dernières décennies, des tours à l’architecture inventive pour attirer les sièges sociaux et les centres financiers qui dopent le PIB. Mais depuis la fin de l’hiver en 2020, ces quartiers sont désertés. Les employeurs encouragent massivement le télétravail et les réunions à distance. Certains salariés de la Silicon Valley n’ont pas mis les pieds dans leur bureau depuis mars 2020.

Les conséquences, pour ces centres névralgiques, sont dévastatrices. Des projets de nouvelles tours ont été reportés sine die. Des multinationales ont affecté des étages entiers à d’autres usages, et hésitent à conserver des milliers de mètres carrés loués à prix d’or alors qu’elles cherchent à réduire leurs coûts. Les restaurateurs, les cafés et les boutiques qui vivaient des multiples passages quotidiens ont fermé, pour certains définitivement. « Habituellement, 190 000 personnes arpentent chaque jour le quartier. Ils ne sont plus que 35 000 en ce moment », explique Pierre-Yves Guice, directeur général de Paris La Défense. A Montréal, le taux de vacance des commerces a bondi de dix points en un an, et l’occupation des hôtels du centre-ville ne dépasse pas 5%. A Chicago, malgré le faible nombre de visiteurs, « nous avons un problème de parkings, car les gens viennent en voiture pour éviter de prendre le métro », reconnaît Michael Edwards, président du « Loop », le cœur historique de la ville, où furent bâtis les plus vieux gratte-ciels de la planète. Les gérants des quartiers d’affaires, qui représentent les collectivités, les investisseurs et les occupants, craignent par-dessus tout les « city quitters », ces citadins lassés de la vie urbaine qui troquent leur appartement en ville contre une maison à la campagne.

Modulation des espaces de travail

Malgré ces perspectives désolantes, « il est important de rester optimiste », assure l’urbaniste néerlandais Jorick Beijer, fondateur de la société de conseil Blossity. « Nous sommes une espèce sociale, et avons besoin de nous rencontrer », sourit-il. Les quartiers d’affaires promettent de « se réinventer », tout en espérant convaincre les employeurs de laisser les salariés revenir à leur poste. Dans les villes denses, le bureau présente un avantage par rapport au télétravail. « Les salariés sont heureux de quitter leur petit logement surpeuplé », observe Pierre-Yves Guice, à Paris. Les visioconférences avec les enfants sur les genoux ont fini par lasser.

Mais dans les capitales européennes à taille raisonnable et les grandes villes étalées du continent nord-américain, où les logements sont plus vastes, cette promesse ne suffira pas. « Les espaces de travail doivent devenir des lieux de rencontre, de réflexion collective, où seront organisés des événements », plaide Jorick Beijer. Les surfaces libérées par le classique mobilier de bureau pourraient être transformées en lieux dédiés « à de nouvelles expériences culinaires, au sport, au spa et au bien-être », affirme le consultant néerlandais. « Les gens viendront au siège non seulement pour travailler, mais pour échanger, collaborer.

Les locaux devront être flexibles », estime Victor Carreau, fondateur de la société Comet, qui propose des lieux de réunion ludiques et modulables. Sophie Henley-Price, l’architecte enthousiaste, vante pour sa part « les toit-terrasses, des rez-de-chaussée ouverts sur la rue, des initiatives culturelles, l’agriculture urbaine ». Travailler à la maison et se détendre au bureau, est-ce vraiment l’horizon du salarié des années 2020 ?

La ville, résiliente par nature ?

L’heure est en tout cas à la mixité des usages, un concept galvaudé à force d’avoir été promis pendant des années par les aménageurs, mais qui prend désormais tout son sens. Les quartiers dévolus aux seuls bureaux se révèlent peu résilients, car leur succès dépend exclusivement des ressources des investisseurs et des multinationales. En abritant également des logements, ces quartiers se placeraient à l’abri des secousses conjoncturelles. Cette organisation répond aussi à une aspiration répandue : habiter plus près de son lieu de travail. La mixité d’usage facilite enfin les déplacements moins encombrants et plus sobres, marche, vélo et transports publics, que les décideurs politiques de toutes les grandes villes veulent encourager.

Les quartiers d’affaires gardent, en ce début d’année 2021, les yeux rivés sur New York. La capitale financière des Etats-Unis subit, bien plus que les autres métropoles mondiales, une grave récession. Les tours sont vides, les ménages les plus riches ont déserté la ville, le tourisme est au plus bas, les petits métiers de la rue ont disparu et l’insécurité a fait son retour dans le métro. Mais la métropole a des ressources. Après la crise financière de 2008, après les attentats de 2001 ou la guerre des gangs des années 1980, New York s’est toujours relevée. La grande ville est-elle résiliente par nature ? L’année 2021 le confirmera, ou pas.