Les transports publics en mal de passagers

Des passagers masqués, gare Saint-Lazare à Paris.
Des passagers masqués, gare Saint-Lazare à Paris.

Les transports urbains comme interurbains connaissent une nette désaffection par rapport aux années précédentes. Les opérateurs et les élus cherchent non seulement à combler les fortes pertes, mais aussi à attirer de nouveau les voyageurs.

L’affiche se décline en bleu-blanc-rouge, bleu pour l’arrière d’un bus, blanc pour le milieu d’un tramway et rouge pour l’avant d’un train. Le slogan, «Liberté, sérénité, mobilité», est censé inciter les passagers à reprendre l’habitude d’emprunter les transports publics. Il n’est pas certain que cette campagne de publicité, lancée par les acteurs de la mobilité du quotidien, élus et transporteurs, à l’occasion de la semaine du transport public, du 16 au 22 septembre, suffise à redresser les comptes des entreprises du secteur.

A elle seule, la SNCF affiche une perte de 4 milliards d’euros depuis le début de la crise sanitaire. Les opérateurs urbains ne sont pas en reste, avec près de 5 milliards de pertes, soit 18% de l’effort annuel, selon les calculs du Gart (Groupement des administrations responsables des transports) qui rassemble les élus. Transdev, qui administre des réseaux de villes moyennes, déplore depuis le début de l’année la moitié de son chiffre d’affaires. Fin juin, les métros, tramways, bus et trains, qui s’étaient remis à circuler normalement après plusieurs mois d’offre réduite, affichaient une fréquentation en baisse de 40%, par rapport à l’étiage habituel.

Se déplacer en transport collectif a perdu en légèreté. Tous les efforts entrepris depuis des années par la SNCF et les réseaux locaux pour faciliter le voyage, titres dématérialisés, achat par téléphone, échange simplifié, ne pèsent plus grand-chose face à la rigueur des mesures sanitaires. Désormais, pour voyager, il faut arborer un masque dès l’entrée dans la gare et jusqu’au bout du trajet, même lorsque la chaleur pèse, et de préférence disposer de gel désinfectant à portée de main. Les règles de distanciation ne sont pas partout les mêmes, en principe un siège sur deux dans les transports urbains, pas de siège condamné pour les grandes lignes, mais créent de toute façon un petit stress. La SNCF ne concède toutefois pas vraiment d’inquiétude pour la période estivale, admettant que «les week-ends de juillet se sont remplis presque normalement». La compagnie ferroviaire a proposé trois millions de billets à moins de 49 euros pour inciter les vacanciers à choisir le train. Les échanges et remboursements ne sont pas facturés, jusqu’au 31 août.

Le télétravail, nouveau concurrent

Mais les passagers du quotidien reviendront-ils à la rentrée ? Il est permis d’en douter, et pas seulement à cause de la menace virale toujours présente. Depuis le déconfinement, de nouvelles habitudes ont été prises. Dans les cœurs des agglomérations, les pouvoirs publics ont tout fait pour inciter leurs administrés à se mettre au vélo. En périphérie, le réflexe de prendre sa voiture est réapparu. Et surtout, une bonne partie des déplacements manquent toujours à l’appel. Le télétravail est devenu un concurrent direct des transporteurs. Les réunions, conférences, congrès, qui remplissaient jusque début mars les TGV Paris-Lille ou Marseille-Lyon matin et soir, se tiennent désormais en vidéo. 

L’inquiétude submerge les acteurs de la mobilité. «Avec la crise, les transports publics ont perdu la bataille culturelle», regrette Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des usagers (Fnaut). Ces dernières années, les collectivités, régions et agglomérations en tête, avaient structuré leur réseau, développé des liens avec les opérateurs de vélo ou d’autopartage, créé des applications, appuyé une réforme du stationnement pour inciter les automobilistes à délaisser leur voiture. «Tout est à refaire», se lamente Bruno Gazeau. 

A l’inverse, le Gart cultive un optimisme de façade. Depuis la mi-mars, «les autorités publiques ont continué à payer, l’offre a été maintenue, les relations avec le ministère sont bonnes», se félicite-t-on au siège de l’organisation. Cela n’a pas empêché les élus, associés aux opérateurs et aux représentants des usagers de faire pression, dès le 8 juillet, sur Jean Castex pour obtenir «une relance du secteur, à l’instar des soutiens prévus pour l’industrie automobile et l’aéronautique». L’appel a, semble-t-il, été entendu puisque le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a annoncé le 23 juillet «une aide à plusieurs milliards d’euros» pour la SNCF.

Mais on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Concrètement, comment faire remonter les voyageurs dans les trains ? La SNCF espère qu’à l’avenir, les adeptes du télétravail, qui auront quitté les villes pour une résidence au vert, se fendront de quelques allers-retours par semaine. Localement, les acteurs de la mobilité misent sur les atouts bien connus du transport collectif : pas d’embouteillage à craindre, gain de temps utile, pas d’entretien de son moyen de transport, pas de difficulté pour le garer. Plus classiquement, le Gart insiste sur l’atout environnemental, qui s’adresse toutefois davantage aux pouvoirs publics qu’aux voyageurs. Les opérateurs hésitent à mettre en avant un autre intérêt du transport ferré : «la distanciation physique, qui offre davantage de confort aux voyageurs», admet-on au Gart. L’argument est à double tranchant. S’il promet un voyage moins stressant, il rappelle aussi que la période est anxiogène.

Olivier RAZEMON