Ecologie

Loi anti-gaspi AGEC : un bilan très décevant

Réduction des déchets, bonus réparation...Bilan très maigre pour la loi AGEC qui devait lutter contre le gaspillage et promouvoir une économie circulaire, quatre ans après sa promulgation, selon plusieurs associations écologistes.






© Adobe Stock
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La déception est grande, à la hauteur des espoirs initiaux. Le 6 février, à Paris, plusieurs associations environnementales, engagées contre la pollution plastique ou pour la réduction des déchets, présentaient leur évaluation de l'application de la loi AGEC « loi anti-gaspillage pour une économie circulaire », promulguée il y a quatre ans. « Notre bilan est malheureusement assez négatif . (…) Nous nous sommes beaucoup battus pour que cette loi soit pleinement appliquée. Il s'agit d'une bonne loi, avec des objectifs chiffrés. Mais le constat, c'est que nous ne sommes pas en train d'atteindre cet objectif. Bien au contraire, nous assistons à une augmentation de la production des déchets. C'est la preuve de l'échec de la loi », démarre Charlotte Soulary, responsable plaidoyer chez Zero Waste France, association qui milite pour la réduction des déchets et contre le gaspillage.

A l'origine, le texte de la loi AGEC, précurseur au niveau européen, avait beaucoup pour plaire à ces militants écologistes : il prévoit des objectifs ambitieux comme la fin de la mise sur le marché des emballages plastique à usage unique d’ici 2040. Et aussi, un grand nombre de mesures qui couvrent un champ large, comme la lutte contre l'obsolescence programmée, avec par exemple l'adoption d'un indice de réparabilité, ou aussi, la lutte contre le gaspillage (interdiction de la destruction des invendus...). D'après les associations, si la loi AGEC est très loin d'avoir produit les effets escomptés, c'est notamment en raison de la mauvaise volonté du monde économique . « Chaque jour, le texte est remis en cause par les industriels concernés par cette loi, qui essaient de la contourner ou d'obtenir son amoindrissement », estime Charlotte Soulary. Les associations mettent aussi en avant une défaillance de l’État, avec « l'absence de contrôles de l'application de la loi et des sanctions, déjà fixées à un niveau très faible et qui ne sont pas appliquées », complète Charlotte Soulary. En outre, « la loi ne va pas assez loin. Elle fixe des objectifs, mais ne donne pas les moyens pour les atteindre », complète la responsable.

Fruits et légumes emballés, quelques réparations...

Parmi les résultats décevants figurent ceux concernant la réduction des emballages plastique à usage unique, dont la loi prévoit la fin de la mise sur le marché d'ici 2040. « Il existe déjà plusieurs mesures d'interdiction, mais dans les faits, elles sont peu ou pas appliquées », explique Axèle Gibert, coordinatrice du réseau prévention des déchets à France Nature Environnement. Exemple : l'utilisation des gobelets plastique à usage unique, théoriquement interdite. « On en voit partout, dans les bars, les restaurants », témoigne-t-elle, images à l'appui. Quant aux enseignes de la restauration rapide, supposées renoncer à l'utilisation de contenants à usage unique pour la consommation sur place, elles sont bien loin de l'avoir fait... Autant d'exemples d'acteurs économiques qui ne respectent pas les textes. Certains les contournent, à l'image des industriels qui apposent le terme « réutilisable » sur leur produit, sortant ainsi du champ de la loi.

Dans le même sens, mais avec des modalités diverses, le bilan de la diminution des emballages plastique des fruits et légumes n'est pas à la hauteur. « Le texte de loi a été vidé de son sens dans le décret », se désole Axèle Gibert. Celui originel prévoyait des exemptions temporaires pour des lots importants ou des produits présentant des risques de détérioration si vendus en vrac. Suite à un recours déposé par les organisations professionnelles de l’emballage plastique, il a été remplacé par un nouveau texte qui liste 29 exemptions pérennes. Parmi elles, l'endive ou la pomme de terre primeur. « Où est le risque de détérioration ? », interroge Axèle Gibert.

La loi n'a manifestement pas non plus tenu ses objectifs de réduction des bouteilles plastique. L' Ademe, l'Agence nationale de la Transition écologique, a constaté une augmentation de ces dernières entre 2021 et 2022. A ce sujet, les obligations prévues pour les établissements recevant du public (s'équiper de points d'eau facilement accessibles) ne sont remplies que par le quart d'entre eux, selon les associations. Autre déception encore, les performances du « bonus » réparation supposé inciter les consommateurs à réparer et donc, à éviter l'achat de produits neufs. Le bilan ? 165 000 actes de réparation effectués sur des produits électriques et électroniques, pour 1,2 milliards mis sur le marché, chaque année...

Le gendarme dort

De ce bilan très décevant, l’État est également comptable, selon le bilan dressé par les associations. De manière générale, elles dénoncent un manque de contrôles et de sanctions. Par exemple, en ce qui concerne les points d'eau installés -ou pas- dans les établissements recevant du public. « il n'y a pas de contrôles diligentés ni de sanctions alors que la loi en prévoit », note Axèle Gibert. Ce sont les associations qui ont mené une enquête auprès de 200 établissements et lancé une pétition, tout comme elles avaient réalisé l'enquête qui a mis en lumière le fait que la restauration rapide n'avait pas remisé ses contenants à usage unique...Et si les entreprises peuvent enfreindre la loi en toute impunité, c'est bien parce que les contraintes publiques manquent, souligne le rapport. Lequel pointe un sujet particulièrement dolent, celui de la consigne obligatoire pour les contenants en verre.

En 2023, l’éphémère secrétaire d’État à la Transition écologique, Bérengère Couillard, avait annoncé la généralisation de la consigne pour réemploi, avec des points de reprise obligatoires dans les supermarchés et hypermarchés. Mais à l'automne, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, avait opté pour le caractère « non contraignant » du dispositif. Dans le même sens, la propension du ministre à vouloir « faire de la pédagogie », est jugée contre-productive, le temps accordé aux entreprises étant surtout employé à «détricoter » les dispositifs, regrette Charlotte Soulary. Résultat, selon les militants écologistes, le recours aux contrôles et aux sanctions s'impose d'autant plus que le cadre initial insuffisamment contraignant a engendré des retards vis-à-vis des objectifs fixés par la loi....

Mais à cela s'ajoute une nouvelle difficulté. Avec la crise agricole, « Bruno Le Maire a annoncé qu'il avait envoyé des injonctions dans le cadre de la loi EGAlim ainsi que 10 000 contrôles. Or, La DGCCRF, [Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes], dispose de peu de moyens. Elle a vu ses effectifs fondre, alors même que la loi a accru les obligations et qu'il faudrait donc que ces possibilités de contrôle augmente. Ce sont les associations qui se retrouvent à faire le job. Mais est-ce bien à nous de faire cela ? », interroge Charlotte Soulary