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Religion et travail, faut-il choisir ?

Récemment, la presse a relaté une vidéo montrant un gérant de société refuser les services d'une intérimaire venue voilée pour travailler dans une boutique. Une telle initiative de l’employeur est-t-elle juridiquement possible ?

(© Adobe Stock)
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Commençons par le plus simple : Il est clair qu’un strict devoir de neutralité s’impose à tout agent collaborant à un service public (CE, 3 mai 1950, Delle Jamet, n° 98284). Il est donc interdit à ces agents de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. La chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que cet impératif de neutralité s’impose également aux agents d’organismes privés qui gèrent un service public (exemple, une caisse primaire d’assurance maladie) (Cass. soc., 19 mars 2013, pourvoi n° 12-11690).

En revanche, et s’agissant des entreprises privées, un tel principe ne saurait trouver application et la situation est plus complexe :

En effet, l’impératif de neutralité n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Le salarié peut donc, en principe, exprimer au sein de l’entreprise privée, par un vêtement ou par un signe, ses convictions religieuses…

Alors que faire ? La solution pour le chef d’entreprise peut éventuellement venir du règlement intérieur de l’entreprise. Rappelons que ce règlement qui fixe les règles en matière d’hygiène, de santé, de sécurité et de discipline dans l’entreprise, est obligatoire dans les entreprises d’au moins 50 salariés (Code du travail art. L1311-2), mais reste possible pour les entités qui ne comportent pas un tel effectif.

Or, deux dispositions du Code du travail peuvent se révéler d’une grande utilité pour l’employeur :

- l’article L 1121-1, selon lequel l’employeur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives (dont la liberté religieuse) de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché ;

- l’article L 1321-3, 2° et 3° du même code suivant lequel le règlement intérieur de l’entreprise ne peut pas comporter des dispositions discriminant un salarié à raison de ses convictions religieuses.

Par un raisonnement en sens contraire, on peut donc soutenir que des restrictions indiquées dans le règlement intérieur de l’entreprise et justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Clause de neutralité du règlement intérieur

Telle pourrait être le cas d’une clause de neutralité. Ainsi, pour la Cour de cassation, la clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, n’est valable que si elle est générale et indifférenciée et qu’elle n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients (Cass. soc., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-24079).

Pour la Cour de justice de l’Union Européenne, l’interdiction de porter un foulard islamique, si elle découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant à tout travailleur de porter tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion, dès lors que ces règles sont appliquées de manière générale et indifférenciée (CJUE, 14 mars 2017, n° C 157/15 - n° C-188/15).

Ainsi, notre arsenal législatif donne aux employeurs la faculté d’inclure des clauses de neutralité dans le règlement intérieur de l’entreprise, à condition d’être attentif au libellé de la clause (le poids des mots !). Car celle-ci devra respecter les principes suivants :

- viser tous les types de convictions personnelles (et non être limitée aux seules convictions religieuses)

- être justifiée par un objectif légitime. En ce sens, la CJUE a estimé que « la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients, tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse doit être considérée comme légitime » (CJUE, 14 mars 2017, aff. 157/15) ;

- les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif devront être appropriés et nécessaires. Plus particulièrement, en droit français, la neutralité doit être justifiée par un objectif légitime et les moyens de réaliser cet objectif doivent être appropriés et nécessaires.

François TAQUET, avocat,
spécialiste en droit du travail et protection sociale