Sols artificialisés, un processus continu
L’artificialisation des sols se poursuit sans discontinuer, avec des conséquences climatiques, sur la biodiversité, mais aussi sur les revenus des ménages. Dans un rapport sans concession, la Fabrique de l’écologie décrit le rôle de la fiscalité ou de la politique immobilière.
Pour la première fois, c’est une ministre qui le dit. Le modèle de la maison individuelle avec jardin, éloignée des services, des commerces et des transports publics, est « un non-sens écologique, économique et social », a déclaré Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, le 14 octobre, face à des professionnels du secteur. Le constat n’est aucunement nouveau. Bon nombre d’urbanistes, de géographes, de sociologues, sans même parler des organisations environnementalistes, détaillent, depuis une trentaine d’années, les coûts de l’habitat dispersé, à la fois pour les ménages, la collectivité et l’environnement.
Le propos de la ministre a été vertement critiqué par le secteur du bâtiment. En revanche, cette position inédite a conforté l’économiste Géraud Guibert, président de la Fabrique écologique, une fondation qui promeut « le développement durable sur la base de propositions concrètes ». La veille de l’intervention d’Emmanuelle Wargon, ce « think-tank » classé au centre-gauche avait publié une note consacrée aux « défis de la lutte contre l’artificialisation des sols ». Ce phénomène concerne 24 000 à 30 000 hectares de terres agricoles chaque année, et progresse « trois à quatre plus vite que la population ou le revenu », observe Géraud Guibert.
La note de la Fabrique écologique se focalise essentiellement sur l’habitat, car, « c’est le secteur qui pèse le plus, 40% des surfaces concernées », affirme Julien Fosse, président du groupe de travail de la Fabrique écologique. Le document, comme il est d’usage dans cette association, sera soumis pendant quelques mois à une « contribution citoyenne », avant d’être remanié.
Si la littérature scientifique condamne unanimement et régulièrement l’artificialisation des sols, le phénomène recouvre plusieurs notions parallèles, observent les rédacteurs de la note. Il est mesuré tantôt par des photos aériennes, par des statistiques regroupées par le ministère de l’Agriculture ou grâce aux fichiers fonciers. Ceci aboutit à différentes définitions qui ne coïncident pas forcément. La « consommation d’espace naturel » pour des besoins privés ou publics ne se traduit pas nécessairement par « l’imperméabilisation des sols » ou la « destruction des écosystèmes ». Par exemple, la construction d’un lotissement pavillonnaire consomme beaucoup d’espace, mais maintient une forme de biodiversité. A l’inverse, un hypermarché, son parking et ses voies d’accès, occupent, comparativement, une superficie moins grande, mais celle-ci est totalement imperméabilisée et bloque l’écosystème.
Une fiscalité aucunement dissuasive
Le document rappelle que l’artificialisation est un processus continu. Selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, la France comptait 3 millions d’hectares artificialisés en 1981, et 5,1 millions en 2019. Le phénomène a connu « une forte accélération » juste avant la crise financière de 2008, avant de retomber légèrement ensuite. Toutes les régions sont concernées, mais les aires des métropoles le sont davantage, ainsi que les régions côtières.
Les rédacteurs de la note se sont attachés à détailler chaque moteur de l’artificialisation. Pour Julien Fosse, « un facteur explicatif majeur tient aux prix des terres agricoles, beaucoup plus bas que chez les voisins européens ». Un hectare agricole vaut en moyenne 6 000 euros en France, contre 20 000 euros aux Pays-Bas, en Italie ou au Royaume-Uni. La rentabilité des terres agricoles est en outre très faible en France, par rapport à ses voisins.
La Fabrique écologique offre un panorama détaillé du régime fiscal qui s’applique au foncier et qui, c’est le moins qu’on puisse dire, « n’incite pas à la sobriété ». Pas moins d’une trentaine de taxes s’appliquent aux terrains urbanisables, qui constituent « des sources importantes de financement des collectivités locales ». Ces dispositifs « n’ont pas été conçus pour traiter de l’enjeu de l’artificialisation des sols », écrivent sobrement les rédacteurs. Ainsi, la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), qui concerne les commerces de plus de 400 m² réalisant plus de 460 000 euros de chiffre d’affaires, « ne prend en compte ni la nature des sols, ni leur localisation », et « ne dissuade donc pas l’installation en périphérie, où le foncier est moins cher ». Or, les lieux d’implantation éloignés des villes « nécessitent de nouvelles voiries, des ronds-points, des parkings engendrant un accroissement de l’imperméabilisation des sols », indique la Fabrique écologique. Les autres taxes qui s’appliquent au foncier ne sont pas plus efficaces. Certaines présentent des tarifs dégressifs à mesure qu’on s’éloigne des grandes agglomérations ; d’autres constituent des forfaits et ne dépendent donc pas de la superficie transformée.
La Fabrique écologique dénonce également « des aides à la pierre mal ciblées », qui avantagent les logements neufs, soumis à des frais d’acquisition, dits « de notaire », moins élevés que les logements anciens. Les prêts à taux zéro (PTZ) favorisent également l’achat de logements individuels neufs : « Plus le nombre de PTZ émis dans un département est élevé, plus son territoire est artificialisé », observent les rédacteurs.
Et si les ménages font massivement construire, ce n’est pas parce que les logements disponibles manquent, au contraire. Entre 2010 et 2015, « le taux de vacance du logement a crû de 3,4% par an, pour atteindre 3,1 millions de logements, soit 8,5% du parc immobilier, contre 4% en Allemagne, 3% au Royaume-Uni ou 1,7% en Suisse », peut-on lire dans la note.
Dès lors, pour inverser la tendance, la Fabrique écologique en appelle moins à de nouvelles lois qu’à des choix de société. Les rédacteurs espèrent en particulier « faire évoluer la dimension psychologique et sociale de l’achat immobilier ». Cela implique de « construire un récit positif, rassurant », au sujet de l’habitat sobre en foncier, en promouvant par exemple « le petit collectif », doté de salles communes, d’un jardin commun ou de chambres d’amis partagées. L’inverse du logement individuel éloigné, dénoncé par la ministre Emmanuelle Wargon.