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Sous le règne inconnu de la « loi spéciale »
En attendant un nouveau projet de loi de Finances pour 2025, la « loi spéciale » permet à l'Etat d'assurer ses fonctions minimales. Mais le périmètre restreint, le caractère exceptionnel de la démarche et les implications de l'annulation des mesures prévues par l’ex-Premier ministre, Michel Barnier sont lourds de conséquences.
La nomination de François Bayrou comme Premier ministre, le 13 décembre, n'annule pas la nécessité de la « loi spéciale ». Le texte, normalement examiné par l'Assemblée Nationale, puis par le Sénat avant Noël, est destiné à « assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics », au-delà du 31 décembre 2024. Il s'agit d'une solution temporaire avant le vote d'un nouveau PLF, projet de loi de Finances pour 2025, celui proposé par le gouvernement de Michel Barnier n'ayant pu être adopté par le Parlement, en raison de l’adoption de la motion de censure du 4 décembre.
La loi spéciale comprend trois articles. Elle autorise le gouvernement à lever les impôts et à dépenser des crédits sur la base du budget de l'année 2024. L’État et les organismes de la sécurité sociale sont également autorisés à procéder à des emprunts. Concrètement, les services de base de l’État continueront donc d'être assurés. Les fonctionnaires recevront leurs salaires, les retraités, leur pension, la carte vitale fonctionnera, les prestataires avec qui l’État a signé des contrats verront ces derniers honorés.... La contribution de l’État au budget des collectivités territoriales et de l’UE devrait être reconduite à l’identique de l'an passé.
Mais le caractère restreint du périmètre de la loi spéciale, le caractère exceptionnel de la démarche et l'abandon des mesures fiscales prévues par le PLF 2025 de Michel Barnier engendrent une série de conséquences dont les effets ne sont pas nécessairement simples à mesurer. Exemple : le PLF du précédent gouvernement prévoyait l'indexation du barème de l'Impôt sur le revenu (IR) sur l'inflation, pour éviter des hausses pour les contribuables. Avec la loi spéciale, le barème de l'IR – comme celui des autres dispositions fiscales – reste inchangé. D'après Bercy, 380 000 nouveaux foyers pourraient se retrouver imposables l'an prochain et quelque 17 millions subiraient une augmentation de l'IR. Pour éviter ceci, LFI a défendu la possibilité d'amender la loi spéciale au Parlement, mais le Conseil d’État, saisi par Michel Barnier, a rendu un avis défavorable, le 10 décembre, avis auquel s’est rangé, ce 16 décembre, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, pour rejeter les amendements déposés en ce sens.
« Petite rétroactivité » à la trappe
L'application de la loi spéciale devrait impacter tous les acteurs de la nation et le budget de l’État. Les subventions aux associations, par exemple, ne devraient pas être couvertes. Autres exemples, les mesures d’exonération de taxes prévues pour les agriculteurs ne sont plus d'actualité. Et les hausses d'effectifs programmées par Michel Barnier dans la défense (700 ) ou la justice (1 500 ) passent à la trappe. Pour les entreprises, l'abandon des mesures fiscales prévues par le PLF 2025 engendre l'application de la baisse des taux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), prévue dans le PLF 2024. Et d'autres mesures fiscales initialement inscrites dans le PLF 2025, pourraient perdre de leur ampleur. Exemple, la contribution spéciale sur les hauts revenus ne pourra plus être imputée aux revenus de 2024. C'est ce que prévoyait le mécanisme de « petite rétroactivité » qui l'aurait rendu possible, si le texte du précédent gouvernement avait été adopté avant le 31 décembre. Les retraités, eux, vont bénéficier d'une revalorisation automatique de leur pension de 2,2 % dès le 1er janvier 2025. Le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2025 de Michel Barnier, lui, avait prévu un décalage de six mois avant l'indexation des pensions sur l'inflation, ce qui devait représenter 3,9 milliards d'euros d'économies pour le budget de l’État. La réduction de l'allègement des cotisations sociales prévue, elle, devait rapporter 5 milliards d'euros de recettes à l'Etat. Si ce dispositif venait à être rétabli dans un nouveau projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), la rapidité avec lequel sera voté ce dernier sera déterminante.
Les nouveaux taux d'imposition à l'IR, eux, rentrent en vigueur en septembre 2025, il reste six mois au Parlement pour ré-indexer le barème. Historiquement, lors de la précédente – et unique- application d'une loi spéciale, en 1979, le projet de loi de Finances pour l'année 1980 avait été adopté le 18 janvier 1980.