Un maire peut-il décider la réouverture des commerces « non essentiels » ?
Malgré le nouveau confinement décrété le 29 octobre, plusieurs mairies, comme celles de Montauban, Valence ou encore Perpignan, ont autorisé par arrêté municipal la réouverture de certains commerces fermés par décret. Ces arrêtés témoignent d’une véritable fronde contre le gouvernement, au constat de leur illégalité. Décryptage.
On peut lire ici ou là que les commerces autorisés sont ceux inscrits dans l’arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19. Cela n’est pas le cas puisque cet arrêté n’est plus applicable depuis la fin du premier confinement. En réalité, même si la liste est presque similaire, c’est le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 et notamment ses articles 27 à 47 qui fixe la liste des lieux autorisés à ouvrir durant ce second confinement. La liste précise des commerces autorisés à ouvrir est fixée à l’article 37.
On note au passage que si l’arrêté du 14 mars 2020 applicable pour le premier confinement, prévoyait une date pour la réouverture des commerces, date plusieurs fois décalée, le décret du 29 octobre n’en prévoit pas. Sans doute le gouvernement a-t-il voulu, cette fois, faire preuve de plus de prudence …
L’illégalité des arrêtés autorisant l’ouverture des commerces
Au titre de l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale […] », afin « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Et cette police comprend notamment : […] le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires […], les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties», prévoit L’article L. 2212-2 du même code. Le maire est donc titulaire d’un pouvoir de police administrative « général » et à ce titre, peut, par arrêté municipal, prendre des mesures restreignant les libertés de ses administrés.
Dans une ordonnance du 17 avril dernier1, le Conseil d’Etat a précisé ce principe : « Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ».
Ce pouvoir de police administrative général est concurrencé par le pouvoir de police sanitaire spécial que le Premier ministre et le ministre de la Santé tirent des articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du Code de la santé publique, issus de la loi du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire.
Il est de jurisprudence constante, depuis un arrêt du Conseil d’Etat de 19592 que le pouvoir de police spécial l’emporte sur le pouvoir de police général. Ce n’est là qu’une variation sur le principe hérité du droit Romain, selon lequel «les lois spéciales dérogent aux lois générales». En clair, lorsque le Premier ministre utilise son pouvoir de police spécial afin de maîtriser l’épidémie, le maire est en partie dépossédé de son pouvoir de police général qu’il tire du Code général des collectivités territoriales.
Ainsi, dans son ordonnance du 17 avril, le Conseil d’Etat énonce que : « la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ». En résumé, dès lors que le Premier ministre ou le ministre de la Santé utilisent leur pouvoir de police spécial, les maires ne peuvent utiliser leur pouvoir de police général que si « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales » le justifient et que si les mesures prises ne contredisent pas les mesures adoptées par le gouvernement.
L’autorisation d’ouverture des commerces « non essentiels » par arrêté municipal contredit clairement les mesures gouvernementales issues du décret n° 2020-1310 du 29 octobre ; ces arrêtés sont illégaux.
Quelles conséquences en cas d’ouvertures?
Pour les communes ayant pris ces arrêtés, les préfets auront deux cibles : les arrêtés en eux-mêmes et les commerces restés ouverts. Pour les arrêtés plusieurs préfets sont déjà rapidement montés au créneau. Ils disposent pour cela d’un moyen efficace : le déféré préfectoral prévu à l’article 2131-6 du CGCT. Cette procédure peut être précédée (ou pas) d’une demande de retrait de l’arrêté : par simple courrier, le préfet demande au maire de prendre un arrêté portant retrait de l’arrêté litigieux. A défaut de réponse, passé un certain délai, le préfet saisit le Tribunal administratif d’une requête en annulation. Cette requête sera, la plupart du temps, assortie d’une demande de suspension. Le maire peut toujours décider de retirer l’arrêté en cours d’instruction. Au vu de l’urgence, et s’il ne procède pas au retrait, il ne fait aucun doute que les tribunaux administratifs statueront rapidement et prononceront la suspension des arrêtés.
Concernant les commerces ouverts, la question est plus délicate : le préfet dispose bien sûr de son pouvoir de fermeture administrative qu’il tire de l’article 29 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre. Toutefois cette procédure nécessite une mise en demeure restée lettre morte. Dans le contexte d’urgence actuel, une telle procédure est donc relativement inefficace. Ainsi, a défaut de s’exposer à un risque de fermeture manu militari, les commerçants pourront simplement se voir infliger des sanctions pénales sur le fondement de l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique : amende de 135 euros à la première infraction relevée, qui sera portée à 475 euros d’amende, en cas de récidive dans les 15 jours et, si la violation du décret est encore constatée à plus de trois reprises dans un délai de 30 jours, à 3 700 euros d’amende et six mois d’emprisonnement.
1CE, 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n°440057
2 Arrêt « Sarl les Films Lutétia & alii »
Nicolas TAQUET, juriste