Droit

Agents publics : une demande de protection fonctionnelle ne peut être librement communiquée

En cas de dommages ou attaques subis en raison ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, tout agent public peut bénéficier de la protection de son employeur. Cette « protection fonctionnelle » peut prendre la forme d’une sanction à l’encontre de l’auteur des faits. Le Conseil d’Etat vient récemment d’estimer que même pour sa défense, celui-ci n’a pas le droit d’accéder à la demande de protection fonctionnelle*.

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Le droit à la «protection fonctionnelle », codifié à l’article L 134-1 du Code général de la Fonction publique (CGFP), implique que chaque agent public (y compris contractuel, donc) puisse accéder à la protection de son employeur lorsque, dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, celui-ci subit des attaques ou dommages quelconques.

La demande doit être faite par l’agent victime auprès de son employeur, en cas de dommage matériel, psychologique (par exemple, en cas de harcèlement moral) ou bien sûr corporel. La protection offerte par l’employeur doit être efficace et à même de prévenir, faire cesser eu/ou de réparer le dommage. Si dans sa demande, l’agent peut suggérer les formes de la protection, c’est en revanche à l’employeur d’évaluer quelles actions sont les plus adéquates.

Comme le rappelle le Rapporteur public du Conseil d’État dans ses conclusions : « l’administration doit prendre les mesures appropriées à la nature et à la gravité des faits, qui seront le plus souvent une assistance (juridique, psychologique, matérielle), un dépôt de plainte ou encore l’indemnisation du préjudice subi ».

Des mesures contre l’agent responsable

L’une des formes communes de protection consiste, pour l’employeur, à prendre des mesures à l’encontre de certains agents. Particulièrement, lorsque l’agent qui bénéficie de la protection fonctionnelle est harcelé par un collègue ou même par sa hiérarchie. Dans ce cas, la protection peut consister à engager une procédure disciplinaire ou même une procédure pénale contre l’agent en cause. Plus simplement, l’employeur peut préférer réorganiser un service en opérant une mutation d’office de l’agent qui pose problème.

S’il choisit la voie disciplinaire, l’employeur devra alors se plier à la classique procédure disciplinaire instituée aux articles L. 532-1 à L. 532-13 du CGFP, peu importe à cet égard que les faits à l’origine de la procédure aient donné lieu à une décision d’octroi de protection fonctionnelle. Toutefois, et là se trouve l’intérêt de la récente décision du Conseil d’Etat, la procédure disciplinaire offre certaines garanties à l’agent poursuivi, et notamment celle de pouvoir accéder au dossier le concernant, ce qui ne va pas pas sans soulever de difficultés.

Le droit de la défense de l’agent responsable

En vertu d’un principe général du droit, une sanction disciplinaire ne peut être prononcée sans que l’intéressé ait été mis en mesure de présenter utilement sa défense. A ce titre, un agent poursuivi dispose d’un certain nombre de droits.

Aux termes de l’article L. 532-4 du CGFP, l’agent poursuivi a droit à la communication de son dossier individuel et des documents annexes. L’administration doit l’informer de ce droit. et ensuite, s’il le demande, lui permettre d’accéder à l’intégralité des pièces de son dossier, sans limitation aux seules pièces qui servent à fonder la mesure disciplinaire.

A ce stade, une question restait toutefois en suspens : si pour préparer sa défense, l’agent sollicitait communication de la demande de protection fonctionnelle ? En effet, il ne serait pas illogique d’affirmer l’existence de ce droit puisque la procédure disciplinaire est fondée au moins sur (ou déclenchée par) la demande de protection fonctionnelle. L’exercice des droits de la défense commanderait donc l’accès à ce document.

La primauté de la protection sur les droits de la défense

Selon le Rapporteur public du Conseil d’Etat, « admettre que cette demande de protection, quel que soit le sens de la décision de l’administration, puisse être divulguée à des tiers, et en particulier à la personne mise en cause, c’est faire peser sur la personne qui se présente comme une victime le risque de s’abstenir. Inversement, assurer la confidentialité de la demande de protection fonctionnelle doit contribuer à libérer la parole ». Bref, la confidentialité de la demande est un gage de protection de l’agent victime.

Suivant ces conclusions, le Conseil d’Etat estime que « La demande adressée par un agent public à l'administration dont il dépend, en vue d'obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle fait apparaître son comportement au sens et pour l'application des dispositions du 3° de l'article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration. La divulgation à un tiers d'une telle demande doit être regardée comme étant, par elle-même et quel que soit son contenu, susceptible de porter préjudice à son auteur, qui a seul qualité de personne intéressée au sens des mêmes dispositions ». Une demande de protection fonctionnelle ne peut donc jamais être communiquée, en cas de demande. Par cette décision, le Conseil d’Etat fait donc clairement primer la protection des agents victimes sur les droits de la défense.

*CE, 11 mars 2024, n° 454305, B