Transports
Le cours d’eau, cet actif sous-utilisé
Devancée par la route et le fret ferroviaire, la navigation fluviale ne représente que 3% des déplacements de marchandises. Voies navigables de France rappelle ses atouts environnementaux et économiques, et souhaite amplifier l’attrait touristique que représentent les cours d’eau.
C’est l’été, tout le monde à l’eau ! La mer, mais aussi les rivières et les canaux, concentrent une part non négligeable du tourisme, en France en particulier. La plupart de ces cours d’eau sont gérés par Voies navigables de France (VNF), « le bras séculier de l’Etat en matière fluviale », explique Thierry Guimbaud, son directeur général. L’établissement public, dont le siège est situé à Béthune (Pas-de-Calais), administre 6 700 kilomètres de voies d’eau et 40 000 hectares, emploie 4000 personnes et pèse 600 millions d’euros.
Le directeur général, invité par l’Association des journalistes des transports et de la mobilité, détaille les trois missions confiées à VNF : « la navigation de commerce, le développement des territoires autour des voies d’eau et la gestion de l’eau elle-même ». La navigation fluviale est souvent considérée comme un mode mineur, écrasée par le transport routier, devancée par le fret ferroviaire, lui-même en perte de vitesse. A partir des années 1960, elle a subi « les effets du développement du réseau routier et de la désindustrialisation », admet Thierry Guimbaud.
En 2019, le secteur semblait toutefois renouer avec la croissance : « La dynamique était très forte, une progression de 10% avait effacé sept années de pertes ». Puis en 2020, première année marquée par le covid, le trafic européen sur les voies d’eau hexagonales s’est tari, mais la perte a été compensée par les échanges nationaux, en particulier ceux de céréales.
La direction de VNF continue de vanter les atouts de ce mode de transport « qui emporte le plus de volume, car un grand bateau équivaut à quatre trains. Le fluvial occupe en outre moins d’espace et émet moins de pollution par tonne transportée que les autres transports », détaille Thierry Guimbaud. Les cours d’eau présentent aussi l’avantage de fonctionner toute l’année de manière régulière, y compris les jours fériés. Les crues n’entravent la circulation qu’une semaine par an, en moyenne. VNF entretient les barrages, écluses et autres retenues d’eau qui contribuent à réguler les régimes hydrauliques. Enfin, la marge de progression est importante : « les voies d’eau sont utilisées à 25% de leur capacités ».
Mais on ne transporte pas n’importe quel bien par l’eau. « C’est un mode lourd, qui exige une construction logistique. Il faut un ou deux ans pour bâtir une offre, qui correspond à un choix industriel », précise le directeur général de VNF. Les modalités intéressent les gros chargeurs, qui peuvent prévoir longtemps à l’avance le volume des biens transportés. VNF s’adapte à la demande, et a par exemple synchronisé ses écluses pour répondre aux besoins de l’industriel chimique (nutrition-santé) Roquette Frères, dont le siège est situé au bord de la Lys, dans le Pas-de-Calais. En revanche, admet le responsable de VNF, « si on n’a qu’une palette à envoyer, il est plus facile de la mettre dans un camion ».
Canal Seine-Nord, les doutes de la Cour des comptes
En France, le transport fluvial plafonne à 3% des échanges de marchandises. Mais ce chiffre global cache des disparités régionales. Seul un grand quart nord-est est doté d’axes au gabarit suffisant. « Dans les régions où le transport par voie d’eau est possible, il atteint 10 ou 20%, et même 40% en Lorraine », assure Thierry Guimbaud. En revanche, le bassin du Rhône est largement sous-utilisé.
Pour améliorer l’offre, VNF régénère son réseau, numérise ses écluses, encourage la géolocalisation fluviale, augmente la capacité de certains canaux. L’établissement public mise sur le projet de canal Seine-Nord à grand gabarit, qui doit relier le bassin de l’Oise, en région parisienne, à ceux du Nord de la France et du Benelux. Au-delà du canal lui-même, VNF rappelle que cet ouvrage s’inscrirait dans une « liaison Seine-Escaut » comprenant au total 1 000 km de canaux. L’infrastructure en est encore au stade des « études pratiques et de la consultation des entreprises », indique Thierry Guimbaud. Le financement est « considéré comme bouclé », bien que la Cour des comptes ait, l’an dernier, déploré une hausse de 200% du budget tout en jugeant les objectifs de trafic « peu réalistes ». VNF espère « une progression de 50% du trafic par voie fluviale avant la mise en service du canal, et 50% après ».
Ce ne sont pas les seules ambitions de l’établissement public. « Les retombées touristiques de la voie fluviale atteignent 1,4 milliard d’euros par an, et nous avons pour objectif de passer à 3 milliards », dit Thierry Guimbaud. L’activité touristique autour des voies d’eau prend plusieurs formes, des bateaux-promenade aux paquebots fluviaux en passant par la location de barques ou le cyclotourisme. Des chemins de halage deviennent des pistes cyclables, des maisons éclusières sont transformées en guinguettes, des écluses font l’objet de scénographies destinées à retenir les promeneurs. Dans les villes, les berges qui accueillaient des voies routières à grand gabarit sont aménagées en promenades piétonnes.
Mais l’espace fluvial, autour de la voie d’eau, ne peut être seulement récréatif. VNF veut se positionner comme un acteur de la logistique urbaine. Plusieurs collectivités, comme la métropole de Lyon, cherchent à encourager les livraisons par péniche. « Le bateau présente un immense avantage », précise Thierry Guimbaud, « il ne va pas vite. Les opérations de préparation peuvent donc se dérouler à bord, le temps de l’acheminement ». Mais comme pour le transport de marchandises industrielles, une telle organisation requiert du temps. « Le logisticien a besoin de stabilité. Une offre ne devient rentable économiquement et environnementalement que si elle se construit dans la durée », explique le directeur général de VNF. L’été prochain, quoi qu’il nous arrive, les cours d’eau seront toujours là.