L’épidémie de Coronavirus peut-elle justifier le droit de retrait d’un agent public ?
Les agents publics sont soumis au devoir d’exercice effectif de leurs fonctions et son corollaire, le devoir d’obéissance hiérarchique. Toutefois, afin de permettre au fonctionnaire de «s’extraire» d’une situation dangereuse, le statut général de la fonction publique prévoit un «droit de retrait» pour les agents publics. Face à l’évolution et à la dangerosité de l’actuelle pandémie, un fonctionnaire serait-il dans son bon droit s’il faisait valoir son droit de retrait ?
Appréciation du droit de retrait
Le droit de retrait a pour la première fois été consacré en droit de la fonction publique par le décret du 28 mai 1982. La formule employée par le Statut général est similaire à celle présente à l’article L. 4131-3 du Code du travail. Trois conditions cumulatives doivent être remplies afin d’exercer le droit de retrait : l’agent doit avoir un «motif raisonnable» de penser que la situation présente un «danger grave et imminent» pour «sa vie ou sa santé».
Il est indéniable que le Coronavirus présente un danger pour la santé. Toutefois, ce danger est-il grave ? Est-il imminent ? L’analyse de ces deux critères se révèle très subtile et il est dès lors impossible de répondre à la question posée de façon absolue: l’épidémie de Coronavirus peut-elle justifier le droit de retrait d’un agent public ? La situation de chaque fonctionnaire est sensiblement différente face au risque de contagion.
Pour répondre à la question, les éléments suivants doivent être pris en compte :
- l’âge du fonctionnaire ;
- son état de santé ;
- le contact avec le public ou non ;
- le contact avec d’autres agents potentiellement porteurs du virus.
En outre, le statut général de la fonction publique prévoit que le droit de retrait doit s’exercer «de telle manière qu’il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent». En particulier, sont visés par ce texte les professions suivantes pour lesquelles le droit de retrait est apprécié de façon extrêmement restrictive : douane, police, administration pénitentiaire et sécurité civile. Les hôpitaux semblent également concernés par cette disposition. Les juridictions ont, par exemple, refusé de reconnaître le droit de retrait à un chirurgien ayant abandonné sa patiente, attachée dans une salle d’accouchement, à la suite d’un incendie dans l’hôpital (Crim., 2 oct. 1958). La présence de malades porteurs du VIH ou de l’hépatite B ne justifie pas non plus l’exercice du droit de retrait, dès lors qu’un hôpital, en raison même de sa mission doit être apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents et pour les tiers (TA de Versailles, 2 juin 1994).
Absence de sanctions
L’autorité administrative ne peut demander à l’agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent. De plus, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent ayant fait valoir son droit de retrait.
Procédure et formalité
L’agent public n’a pas à «demander» le bénéfice du droit de retrait. Ce droit s’exerce de façon spontanée et sans accord de la hiérarchie. C’est l’objectif même du droit de retrait : s’extraire d’une situation dangereuse parfois même contre la volonté de sa hiérarchie. Aucune formalité ni aucune procédure particulière n’est donc à prévoir pour l’agent qui désire exercer son droit de retrait. Il lui suffit simplement d’en avertir son supérieur hiérarchique par un e-mail ou une lettre.
Par la suite, si l’autorité administrative estime que les conditions n’étaient pas remplies, elle opère une retenue sur salaire correspondant aux absences de l’agent. Celui-ci pourra alors contester cette retenue devant le tribunal administratif, en exposant en quoi la situation justifiait l’exercice de son droit de retrait. Le tribunal administratif analysera alors les conditions de mise en œuvre de ce droit.
Nicolas TAQUET, juriste