Commerce
Les enseignes à la recherche d’une martingale
Vendre, et le mieux possible. Tel semble être le mantra de la grande distribution comme des enseignes, en cet été 2024. Le secteur avait pourtant amorcé l’an dernier, en tous cas dans les discours, un virage vers davantage de sobriété.
Le commerce se porte mieux lorsqu’il tient à distance les contingences politiques. Dix jours avant le premier tour d’élections législatives à l’issue incertaine, les représentants des grandes enseignes ont donc cherché à se rassurer. Quelques centaines de professionnels ont assisté, le 20 juin, à Paris, à une conférence organisée par Procos, mouvement professionnel rassemblant 310 enseignes, à la suite de son assemblée générale.
« L’envie doit être le moteur de la consommation », martèle André Tordjman, fondateur de la marque Du bruit dans la cuisine, nouvellement élu à la tête de Procos. Une prospérité qui fait visiblement appel au bonheur : « des collaborateurs heureux, des clients heureux, des actionnaires heureux ». Le temps d’une matinée, les représentants des enseignes ont passé en revue toutes les recettes susceptibles d’« accroître la taille du gâteau », selon l’expression de leur nouveau président. L’exercice s’inscrit en décalage avec celui qui prévalait lors du même rendez-vous, il y a un an. Les enseignes, après la pandémie, s’interrogeaient sur la manière dont la surconsommation de biens, l’étalement urbain ou le réchauffement climatique pèseraient sur l’avenir du commerce. Aucune introspection de ce genre cette année.
Il faut faire du chiffre, et chacun avance sa stratégie. Pour Wouter de Backer, directeur pour la France des magasins Action, qui affiche 800 lieux de vente dans l’Hexagone et en ouvre plus d’une cinquantaine par an, la ligne de conduite est simple : « on répond aux besoins des clients, avec des prix abordables. La montée en gamme n’est pas un objectif pour nous ». A l’inverse, l’enseigne Yves Rocher mise sur la qualité et les prix, explique Julie Rosenkrantz de Briey, sa directrice générale. Avec la pandémie, « la fréquentation des magasins a chuté de 25% entre 2019 et 2024 », admet-elle, alors même que « 2000 cabines » de soins ont pour mission d’attirer la clientèle. Mais « le chiffre d’affaires s’est maintenu, car nous avons augmenté nos prix », reconnaît la responsable.
La marque s’attache le soutien – rémunéré – d’influenceurs. En une vidéo de quelques minutes à peine, l’un d’entre eux, nommé « Richard », a réussi à booster les ventes d’une poudre de maquillage, appliquée sur le visage rayonnant de « Léna Situations », autre célèbre influenceuse. Résultat : « Nous sommes tombés en rupture de stock, en quelques jours », raconte Julie Rosenkrantz de Briey, qui commente : « Ce n’est pas gratuit ». Si Yves Rocher avait directement fait appel à Léna Situations, dont les mises en scène filmées dépassent régulièrement le million de « vues », « il aurait fallu débourser un million d’euros », précise la responsable d’Yves Rocher, devant une salle qui bruisse de murmures étonnés.
Rendre les centres commerciaux indispensables
Les enseignes misent, plus classiquement, sur des lieux de vente « où il se passe toujours quelque chose », comme le dit Sandrine Mercier, directrice du marketing de Carmila, la société foncière du groupe Carrefour. Le vieux slogan, emprunté aux Galeries Lafayette, prend la forme, selon les lieux et les moments, de cours de cuisine, spectacles de marionnettes, aides aux devoirs.
Etoile montante de la grande distribution, Frédéric Merlin, 32 ans, cofondateur du groupe SGM, qui possède des galeries marchandes de centre-ville ainsi que le BHV (Bazar de l’Hôtel de Ville) à Paris, explique ses critères d’investissement : « un cœur de ville de plus de 100 000 habitants, relié à Paris en TGV ». Ces galeries, jusque-là désertées par les enseignes, sont réhabilitées à coups de « réduction drastique des coûts de fonctionnement »… et de ruses de commerçants : « Le BHV est un patrimoine auquel les Parisiens sont très attachés. On vend des ampoules à 60 euros au sous-sol, et les gens achètent », avoue-t-il.
Les propriétaires des grands centres commerciaux rêvent, eux, de les rendre indispensables aux consommateurs. Louis Bonelli et Philippe Journo, respectivement directeur général de Klépierre, et fondateur de la compagnie de Phalsbourg, deux acteurs majeurs du secteur, vantent « les demandes en mariage dans les centres commerciaux », « les dîners de Saint-Valentin » ou « les gens qui viennent faire leur sport » dans les périmètres des « retail parks », ensembles commerciaux à ciel ouvert. Est-ce la perspective d’une victoire du Rassemblement national ? Philippe Journo insiste à trois reprises sur « la sécurité » des zones commerciales, assurée selon lui par « les caméras de surveillance ».
Les animations incessantes qui font la fierté de la grande distribution laissent toutefois de marbre Cédric Ducrocq, fondateur de la société de conseil Diamart : « les gens ne viennent pas dans un magasin pour une expérience, mais pour le produit ». En outre, les perspectives de croissance pourraient faire oublier une réalité moins prometteuse : « L’appareil commercial est en train de se rétracter », assure l’économiste et consultant Philippe Moati. Le cofondateur de la société L’Obsoco observe « une phase de saturation des besoins ». Or, « la logique des volumes », qui consiste à vendre toujours davantage, « n’est pas tenable », selon lui. « La transition écologique aura des effets en chaîne, notamment sur le pouvoir d’achat ». Il conseille aux commerçants de « créer plus de valeur économique en vendant moins ». Ce qui ne semble pas du tout être l’ambition des participants à la conférence de Procos.