RH
Retournement du marché de l'emploi cadre : jeunes et seniors premiers touchés
Le ralentissement du marché de l’emploi laisse augurer des difficultés accrues pour les publics les plus vulnérables. Une enquête de l’Apec réalisée en mars auprès d’entreprises et de cadres seniors identifie deux populations plus à risque : les cadres seniors et les jeunes diplômés.

L'évolution du marché du travail laisse présager une intensification des difficultés pour les publics les plus vulnérables, en particulier les cadres en recherche d'emploi et les cadres seniors. « Le renversement du rapport de force au profit des entreprises risque de peser sur les jeunes, sur les demandeurs d’emploi longue durée et sur les seniors, qui sont des populations plus vulnérables et plus à risque dans un marché qui se contracte », démontre Hélène Garner, directrice des données et des études de l’Apec. L’un des signes d’inquiétude relevé par l’Association pour l’emploi des cadres ? Le recul des embauches de seniors expérimentés. Ainsi, la proportion des employeurs qui, face à une difficulté de recrutement, sont prêts à embaucher un cadre avec plus d’expérience qu’attendu – « sous-entendu donc un cadre plus âgé », précise le directeur général de l’Apec Gilles Gateau – diminue très fortement. Si c’était presque une entreprise sur trois en 2023, seulement une sur quatre aujourd’hui est disposée à revoir son recrutement et à favoriser un candidat avec davantage d’expérience. « À un moment où l’on a besoin d’un changement de regard et d’un changement de pratique sur le recrutement des seniors, c’est un signe qui n’est pas du tout positif, poursuit le directeur de l’Apec. Le risque est qu’avec le retournement du marché du travail en faveur des employeurs, ce changement ne se réalise pas aussi vite qu’il le faudrait. » Pour Gilles Gateau, « Le chômage des cadres est d’abord et surtout un chômage de cadres seniors ».
Les cadres débutants, premières victimes
Autre public particulièrement touché par la contraction des recrutements de cadres, les cadres débutants qui ont moins d’un an d’expérience. « Les jeunes sont les premiers à payer », commente Gilles Gateau. Le nombre de recrutements de cadres débutants en 2024 a baissé de 19 % par rapport à 2023. Et cette baisse des opportunités, déjà entamée, devrait se poursuivre (prévision de -16 % en 2025, pour s’établir à 41 000 recrutements). « Cela s’explique par une mauvaise orientation des secteurs dans lesquels s’insèrent les jeunes cadres », commente Hélène Garner. Estimant que chaque année, près de 200 000 jeunes par an sont diplômés bac+5, cela fait moins d’opportunités pour des jeunes très diplômés. « cela peut générer de la frustration à court terme. » Le retournement du marché du travail observé en faveur des entreprises risque d’accentuer cette probabilité pour les jeunes diplômés de trouver un job non cadre et accroît donc leur risque de déclassement. Ce que confirme Hélène Garner : « Les moments de contraction du marché accentuent ces phénomènes à l’insertion de postes moins qualifiés. » Les jeunes moins expérimentés, mais aussi les jeunes cadres sont les plus exposés à la réduction des embauches des entreprises qui se tournent vers des profils plus expérimentés, et plus immédiatement opérationnels.
Une fin de carrière un peu plus sereine, mais toujours incertaine
Concernant les cadres seniors, ceux-ci semblent un peu moins inquiets pour leurs dernières années de carrière professionnelle avant la retraite. L’Apec a notamment interrogé ceux de 55 ans et plus : « En mars 2025, il y a un peu plus de sérénité lorsqu’ils pensent à leurs dernières années, mais encore 37 % ne se disent pas sereins par rapport aux années qu’il leur reste à faire (contre 40 % il y a trois ans) », détaille Gilles Gateau. Interrogés également au sujet de la retraite, en deux ans, la proportion de ceux qui disent « Je souhaite continuer à travailler aussi longtemps que j’en serai capable » a augmenté (36 % en mars 2025, contre 29 % en février 2023). « On sent, avec un horizon qui s’est clarifié, que beaucoup de cadres ont intégré l’idée qu’il leur faudra travailler plus longtemps », commente Gilles Gateau. Même si deux sur trois (64 %) souhaitent néanmoins « prendre leur retraite dès que possible, pour se consacrer à autre chose que le travail ».
Des politiques RH qui stagnent face à l’enjeu senior
Du côté des entreprises, l’Apec relève que les politiques RH vis-à-vis des seniors avancent peu. Depuis la réforme des retraites qui a porté l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, très peu – 40 % des ETI et des grandes entreprises, et seulement 20 % des PME et 10 % des TPE – ont fait évoluer leur politique RH les concernant (formation, mobilité, rémunération, recrutement, temps de travail, prévention des risques professionnels, etc.). Ainsi, les actions en faveur du recrutement et de la formation des seniors sont encore peu répandues, y compris dans les plus grandes entreprises. Et les principaux intéressés s’en rendent compte : seuls 15 % des cadres de 55 ans et plus ont le sentiment que leur entreprise a fait évoluer sa politique RH vis-à-vis des seniors depuis la réforme des retraites. Parmi les actions les plus souvent mises en place : celles visant à préserver leur santé, des aménagements du temps de travail en fin de carrière, des actions de transmission des savoirs en fin de carrière, ou encore des actions de préparation au départ à la retraite.
À l’inverse, peu d’entreprises ont mis en place une politique d’embauche de seniors, un plan de formation dédié à ce public ou encore des entretiens professionnels spécifiques. La conséquence directe de ces politiques RH qui patinent ? La mobilité professionnelle constitue un risque aux yeux de la majorité des cadres seniors. Ainsi, deux tiers des 55 ans et plus estiment que le fait de changer d’entreprise dans la période actuelle constitue un risque qu’ils ne sont pas prêts à courir, plutôt qu’une opportunité qu’ils saisiraient si elle se présentait. « Les 55 ans et plus sont très lucides sur le fait qu’il sera très difficile de trouver un emploi », commente Gilles Gateau. Enfin, s’ils devaient changer d'entreprise ou perdre leur emploi, trouver un emploi équivalent serait difficile pour 77 % d’entre eux, voire très difficile pour 32 %.
Charlotte DE SAINTIGNON